samedi 23 octobre 2010

Bashung, l'imprudent

Bashung, l'imprudent: "Un noir total avait recouvert la verdure du bain amniotique de Fantaisie militaire. On croyait tenir entre ses mains un faire-part de décès. Plongé dans les ténèbres, Bashung avait des airs d'Oscar Wilde, fantôme de Canterville aux yeux charbonneux, bouffi et blafard. La critique s'inquiéta de sa santé mentale - une crainte que l'écoute de L'Imprudence, album présenté comme «tragique et sensuel» par le chanteur, ne dissipa nullement. L'époque était plutôt aux musiques «festives», au cocktail saoulant de musette et de reggae. Au-dessus de la mêlée, le dandy détonnait avec son symphonisme bâtard : «Le silence, c'est aussi une façon d'être punk.»
Nous étions en deux mille deux et le rock'n'roll, musique d'essence rebelle, triomphait partout. La «rock attitude» était devenue la plus consensuelle qui soit, elle n'effrayait plus les parents puisqu'ils l'avaient eux-mêmes transmise à leur progéniture. Pour les anticonformistes qui l'avaient véhiculée, le malaise était palpable. Bashung préférait oublier l'Amérique et se réfugiait dans les salons d'un Vieux Continent décadent, quelque part entre le surréalisme franco-belge et l'expressionnisme allemand. Dans L'Imprudence, Kurt Weill était bien là, mais on cherchait désespérément la trace de Buddy Holly. Pratiquement tout rappel de la culture rock avait disparu. Il n'en restait que la genèse, le souffle de cet harmonica à l'agonie. Le blues.

Il se définissait comme «bâtard» ou «autiste compositeur». Grâce à lui, le rock et la chanson française apprirent à s'aimer. Un portrait biographique d'Alain Bashung (1947-2009) réalisé à partir de ses obsessions musicales et d'entretiens inédits.

LES AUTEURS : Bruno Lesprit travaille depuis 1994 au Monde. Il a commencé à écrire sur les musiques populaires, rock et chanson, avant de devenir rédacteur en chef adjoint du service culture. Il a participé à l'ouvrage collectif Les Tubes de l'été (Flammarion).
Olivier Nue est journaliste musical au Figaro. Après avoir débuté aux Inrockuptibles, il a dirigé les pages musique d'Aden - supplément culturel du Monde, puis d'Epok, magazine de la Fnac. Chroniqueur sur France Inter («Système disque») et Paris Première («Ça balance à Paris»), il est l'auteur de biographies de Jim Hendrix et Neil Young (Librio)."

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