mercredi 8 septembre 2010

Alzheimer et le post-it® magique

Alzheimer et le post-it® magique: "

Lundi 6 septembre. Gare de l’Est à Paris. Départ officiel d’un

étrange outillage ferroviaire itinérant
visant à mobiliser l’attention

des foules sur les méfaits de la maladie d’Alzheimer. Programme: douze villes

en deux semaines. Un train au service d’une communication «à l’ancienne», de celle

en vigueur à l’époque des chemins de fer à vapeur et de l’identification au

début du siècle dernier par un médecin allemand prénommé Aloïs

de la maladie neurodégénérative qui, depuis, porte son nom.


Lundi 6 septembre. Gare de l’Est, donc. Roselyne Bachelot,

ministre de la Santé et des Sports est là, serrée dans l’un de ses désormais

célèbres tailleurs fleuris. Et, comme tous les responsables politiques

descendant «sur le terrain», elle parle et sourit, sourit et parle, s’enivrant de

ses éléments de langage à la fois compassionnels et volontaristes. Accompagnée

par Bernadette Chirac, la ministre commence la visite de l’exposition qui «sillonne»

la France jusqu’au 21 septembre grâce au soutien d’un improbable conglomérat de

partenaires allant de Pfizer à Nestlé

jusqu’à l’assurance maladie et la mutualité française sans oublier Bluelinea société

«innovante», son bracelet électronique «BlueTag» et son stylo «BluePen» qui permet

le recueil électronique de données manuscrites.


Que retiendra-t-on de cette sortie ministérielle? Cette courte

séquence
tournée par streetpress.



Ainsi donc cette cette phrase:


«Ah oui ça, le

post-it®, est un élément très important du traitement de l’Alzheimer!»



Roselyne Bachelot réagissait à la présence dans une

voiture de ce train «dédié» (sur différentes photographies que l’on imagine

être de malades ou de membres de leur famille) de petits timbres rectangulaires

auto-adhésifs de différentes

couleurs sur lesquels on avait écrit le nom des personnes photographiées. Du

genre: «Georges tu vois là c’est toi pendant

l’été 2008. Tu es avec ta nièce Camille…»
En clair ces post-it® seraient

les meilleures balises quotidiennes pour guider les victimes de la perte progressive

de toute autonomie, l’effacement de tous les repères personnels et

spatio-temporels. Postulat: répartis et renouvelés un peu partout dans l’espace

de vie du malade, ces messages pourraient (entre mille et une autres astuces

pratiques destinées à stimuler l’attention et la mémoire) aider à freiner les

mécanismes de la dégénérescence neurologique.


Dont acte. Mais de là à transformer le nom de marque déposée

(par 3M) Post-it® (pourquoi ne pas

avoir parlé, sinon de «pense-bête» du moins de «papillon adhésif» ou de

«papillon autocollant»?) en «élément très

important du traitement»
, il y a un pas qu’un ministre de la Santé ne peut

pas franchir sans prendre de grands risques. Tous les soignants spécialisés dans la prise en charge des malades

auront sans soute compris qu’il s’agissait d’une sorte d’ellipse.


Pour Roselyne Bachelot, le post-it® n’était ici (du moins

peut-on l’espérer) que le symbole de la somme des initiatives techniques ou des

stimuli relationnels permettant de garder le plus longtemps possible un lien

aussi ténu soit-il avec ceux qui quittent progressivement leur entourage tout

en restant vivants. Mais les autres, tous ceux qui n’auront pas perçu l’ellipse?

Qu’auront-ils perçu dans la promotion au rang de thérapeutique majeure d’un

papier adhésif contre une maladie incurable affectant aujourd’hui près de 800.000

personnes en France? Le post-it®, clef de voûte d’un plan national lancé

en 2008 à hauteur de 1,6 milliard d’euros sur cinq ans (1,2 milliard pour le

médico-social, 200 millions pour la santé et autant pour la recherche)?


Les incompréhensions créées par cette sortie ministérielle

sont d’autant plus paradoxales que les dernières nouvelles du front de la lutte

contre la maladie d’Alzheimer indiquent toutes qu’il faut davantage attendre

d’une prise en charge «stimulante» au quotidien que de quelconques avancées

médicamenteuses. Plusieurs grands essais de molécules prometteuses viennent

d’être interrompus, les effets indésirables étant de loin supérieurs aux

faibles bénéfices observés.


Plus grave encore, dans les milieux spécialisés de la

recherche, on en vient à remettre en cause les hypothèses développées depuis un

quart de siècle quant aux

causes de cette affection
. Au-delà de futures politiques de prévention,

l’espoir ne réside plus aujourd’hui que dans la mise au point de techniques de

dépistage précoce (avant même l’apparition des premiers symptômes) et dans la

stimulation des fonctions cérébrales des personnes ainsi identifiées. Les

post-it® auront sans aucun doute toujours une place. Elle est aujourd’hui en

moyenne sous la barre des 20 centimètres carré.


Jean-Yves Nau


Photo: Roselyne Bachelot, durant une conférence de presse en Afrique du Sud en juin 2010. REUTERS/Charles Platiau

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