mercredi 1 septembre 2010

Histoire du moustique

Histoire du moustique: "

Les professeurs de biologie demandent souvent quel est

animal qui tue le plus de gens. Leurs pauvres élèves se ridiculisent en s’écriant

«l’ours gris!», «le tigre!», «le cobra !» ou même «l’hippopotame!». La bonne

réponse, bien sûr, c’est le moustique femelle –pas de fourrure, pas de crocs,

rien qu’une aiguille hypodermique ailée. Sa longueur dépasse à peine cinq

millimètres, elle a six pattes, et c’est le vecteur de maladies le plus

efficace de tout le règne animal. C’est grâce à son odorat qu’elle nous repère,

attirée par l’acide lactique et d’autres ingrédients de notre transpiration.

Elle sent aussi le dioxyde de carbone que nous expirons et arrive jusqu’à notre

visage en remontant le sillage de notre respiration. Plus on sue et plus on

halète en la chassant, plus on l’intéresse.


La plupart ne boivent pas de sang


Son apparence n’est pas répugnante. Au contraire, sa petite

taille, ses lignes pures, la longueur de ses pattes et sa fragilité lui donnent

une certaine élégance. On serait même prêt à lui donner un millilitre de sang,

malgré la démangeaison qui accompagne sa piqûre, si on ne s’inquiétait pas de

ce qu’elle peut transmettre. Parmi les nombreux agents

pathogènes
qu’un moustique peut

véhiculer, le pire est le paludisme, qui tue chaque année plus d’un

million de personnes, dont les deux tiers se trouvent en Afrique

sub-saharienne, pour la plupart des enfants de moins de 5 ans.


Tenter de donner une meilleure réputation à une telle

créature n’a pas de sens. Personne n’aime les moustiques, ni les amis de ces

insectes. Pourtant, il est injuste de dire indistinctement du mal des 2.600

espèces de moustiques déjà décrites. Parce qu’il n’y en a qu’environ 80, soit

3%, qui boivent du sang humain. Sur les 2.520 variétés de moustiques

relativement irréprochables, il y en a même une qu’on aimerait voir en

expansion: celle des Toxorhynchites,

qui mangent d’autres moustiques. A l’état de larves, les Toxorhynchites

dévorent leurs cousins, puis s’en prennent à leurs frères et sœurs, continuant

souvent à les attaquer jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un seul. Ce drame se

déroule dans une minuscule nappe d’eau qui s’accumule au creux d’un arbre ou

une petite flaque du même genre. Ces moustiques, y compris l’Aedes,

qui transmet des maladies, se sont adaptés à l’environnement industriel et se

reproduisent dans des pneus usagés. Comme le savent tous ceux qui ont essayé,

il est très difficile d’évacuer l’eau d’un pneu.


Même les moustiques qui se nourrissent de sang n’en ont pas

besoin à chaque repas. En fait, ils puisent l’essentiel de leur énergie dans

les fleurs et les plantes, auxquelles ils sont utiles en les pollinisant. Le

moustique mâle, innocent mis à part le rôle qu’il joue en produisant davantage

de femelles, se nourrit en se contentant exclusivement de nectar ainsi que de

fluides issus des plantes. Une sorte de moustique qui ne s’intéresse pas à nous

est le principal pollinisateur d’une orchidée

assez jolie
, la platanthère à feuilles obtuses, qui pousse dans

les marécages des forêts de l’hémisphère nord. Un autre moustique pollinise la Platanthera

integrilabia
, une espèce en voie de disparition originaire des

Appalaches.


Pourquoi tous les moustiques ne peuvent-ils pas être

végétariens? Il y a des millions d’années ou davantage, un moustique primitif,

peut-être presbyte, a pu confondre un végétal et un mammifère qu’il a piqué

accidentellement, ce qui lui a donné le goût du sang. A présent, les femelles

de ces 80 espèces dangereuses ont évolué, comme les tiques, et utilisent du

sang pour produire des œufs. Le bourdonnement décidé qu’on entend à l’extérieur

(ou à l’intérieur) d’une tente de camping et lié à la survie d’une race

animale. Le sang des mammifères contient un mélange très riche de protéines, de

fer, de graisses et de sucre qui déclenche le fonctionnement des ovaires d’une

femelle de moustique. En 90 secondes à peine, elle peut aspirer jusqu’à trois

fois son poids de sang.


Pour accomplir cet exploit, elle se sert de sa trompe. Les

ciseaux rudimentaires de ses ancêtres, les moucherons, se sont agrandis et

développés sur des générations pour devenir un outil efficace permettant de

percer la peau et de boire le sang. Cette trompe est faite de deux tubes

entourés par des paires de lames coupantes. Quand elle se pose pour se nourrir,

les arêtes tranchantes glissent l’une contre l’autre, comme celles d’un couteau

électrique à découper, et fendent la peau. Pendant qu’elle cherche un petit

vaisseau sanguin pour l’entailler, son tube salivaire injecte un anticoagulant

dans l’étroit tube aspirateur pour éviter qu’il ne se bouche. Les protéines de

sa salive provoquent une réaction de notre système immunitaire –une enflure et

une démangeaison. Tous les organismes pathogènes qu’elle transporte traversent

ses glandes salivaires. A la suite d’un saut diabolique de l’évolution des

espèces, les parasites responsables du paludisme qui se multiplient dans l’intestin

de l’anophèle perturbent l’organe qui sécrète l’anticoagulant. Leur porteuse

doit donc piquer d’autres victimes pour boire la même quantité de sang, et le

plasmodium prospère.


Les premiers moustiques sont apparus il y a plus de 200 millions

d’années. Ils buvaient probablement le nectar des nouvelles plantes qui

fleurissaient ou le sang des dinosaures. (Dans le film Jurassic Park,

on a extrait de l’ADN de dinosaure d’un moustique pris dans de l’ambre.) Ils

ont dû être vraiment ravis lorsque nous sommes arrivés, environ 190 millions

d’années plus tard, presque sans fourrure et avec une peau relativement tendre.

Lucy et sa famille d’Afrique orientale ont très certainement souffert de

fièvres provoquées par des germes que véhiculaient des moustiques.


Ensuite, comme maintenant, les moustiques se sont multipliés

dans l’eau stagnante. Et bien trop vite: l’œuf de cet insecte buveur de sang

peut donner un adulte en cinq jours seulement –et ces œufs sont très nombreux.

Le moustique porteur du paludisme en pond plusieurs centaines, un par un; d’autres

espèces en font des quantités à la fois. Le vivier qui leur sert de piscine n’est

sans doute pas plus grand qu’un vieux gobelet en carton ou un couvercle de pot

de confiture et il peut être très sale –de l’eau des égouts, par exemple. Une

larve de moustique, longue d’environ huit millimètres, ressemble à un teckel

aquatique à poils durs ou, si vous préférez, à un asticot velu. Sa tête et son

corps sont suspendus à un tube respiratoire qui monte à la surface de l’eau. Au

fur et à mesure que ce tuba aspire l’air, des cils filtrent l’eau à la

recherche de protozoaires et de bactéries.


Les poissons sont nos amis


L’accouplement d’un moustique néo-zélandais correspond

exactement à la définition de la rapacité. Une fois que les larves sont

devenues des chrysalides en forme de virgule, les mâles adultes s’approchent et

attendent que d’autres femelles éclosent. Dès que l’une d’elles apparaît, un

mâle arrive et s’accouple avec elle avant que ses ailes ne soient assez sèches

pour lui permettre de s’échapper. Il existe un autre rituel d’accouplement, plus

courant et plus libre: les moustiques mâles se rassemblent et forment un nuage.

Les femelles choisissent d’y entrer ou non.


Nos alliés vivants dans la lutte contre les moustiques sont

principalement les poissons qui mangent leurs larves. A ce titre, on peut remercier

le

piranha
et la

gambusie
. Les larves de libellules dévorent les larves de

moustiques et les libellules adultes se nourrissent de moustiques adultes. Pour

leur part, les chauves-souris ont une réputation

meilleure que ce qu’elles méritent
. En réalité, les moustiques

représentent moins de 1% de l’alimentation des chauves-souris. C’est aussi

vrai de l’hirondelle noire, même

si on l’apprécie.


Si les chauves-souris, les oiseaux et les insecticides

pouvaient éliminer tous les moustiques, ce qui est impossible, les exterminer ne

serait pourtant pas une bonne idée. Leurs innombrables larves nourrissent les

petits poissons, mangés à leur tour par les gros poissons, qui constituent la

principale source de protéines dans de nombreux pays en développement.


Naturellement, nous portons un regard anthropocentrique sur

les moustiques. On s’en préoccupe parce que ce sont les

plus mortels ennemis de l’homme
. Il vaut peut-être la peine de

penser à la vie en prenant le point de vue de cet insecte. La vie d’un

moustique femelle, qui dure trois à six semaines, est loin d’être une partie de

plaisir. Boire du sang n’est pas facile; plus elle met de temps à trouver un

vaisseau sanguin, plus elle risque d’être écrasée. Et après tout, elle n’a pas

choisi de véhiculer tous ces parasites mortels. Où les trouve-t-elle? Chez

nous, tout simplement.


Nous avons passé les cinquante dernières années à chercher

un vaccin contre le paludisme, ce qui nous éviterait de le transmettre aux

moustiques et de l’attraper à cause d’eux. Il peut être plus logique de les

aider à résister à cette maladie. On a récemment achevé le séquençage du génome

de deux des espèces les plus dangereuses de moustiques. Au lieu d’utiliser ces

connaissances pour mieux les anéantir, pourquoi ne pas s’en servir pour renforcer

leur système immunitaire
? On se résignerait aux enflures et aux

démangeaisons si on était sûr de ne pas avoir de fièvre ensuite.


Constance Casey


Traduit par Micha Cziffra


Photo: Aedes

aegypti
/ James Gathany / Domaine public

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