mercredi 1 septembre 2010

Israël-Palestine: l’art des faibles espérances

Israël-Palestine: l’art des faibles espérances: "

C’est en 2003, alors que le

gouvernement américain venait, une fois encore, d’essayer de relancer le processus

de paix israélo-palestinien, que le président George W. Bush a prononcé la

phrase fatidique. L’une de ces phrases ridicules dont il a le secret, et qui ne

cesseront jamais de le poursuivre; une phrase que la postérité classera sans

doute parmi les célèbres «bushismes».

Le président venait de participer à un sommet pour la paix au Moyen-Orient, et quittait

la Jordanie à bord d’Air Force One, lorsqu’il délivra ce pronostic solennel: il

avait bon espoir d’assister à la création d’un Etat palestinien «d’ici deux

ans». Depuis, pour une raison ou pour une autre, le délai est toujours de deux

ans: en 2009, Obama

nous a fait la même promesse.


Mais en 2003, Bush faisait

simplement preuve d’un optimisme prudent – ou, pourrait-on dire, d’un

pessimisme sans prétention. Obama, lui, s’apprête

à relancer
pour la énième fois les «pourparlers directs»

entre Israël et la Palestine. Et il promet désormais de résoudre le conflit non

en deux, mais en une année seulement. Bush a un jour déclaré qu’il était le

«grand spécialiste des faibles espérances». Une telle formule ne peut bien

évidemment pas s’appliquer à son successeur, le président de La

Promesse
.


Les faibles

espérances
ne sont donc plus, aujourd’hui, l’apanage du président, mais

celui des législateurs, des experts, des commentateurs, des journaleux, des

spécialistes de com’ politique, et de tout autres observateurs désireux de

décrypter le non-évènement annoncé. Seuls un ou deux

journalistes font montre d’un prudent

optimisme de rigueur
. Les Palestiniens disent

qu’ils sont prêts à «faire un essai d’un mois». Les Israéliens signalent

qu’ils ont «besoin d’un véritable partenaire» côté palestinien. Personne ne

tente d’évaluer les chances de réussite des pourparlers – pas même Yossi

Beilin, architecte des accords d’Oslo, maître artisan de la paix et éternel

optimiste (bien qu’il prétende

le contraire). Interrogé par le New York Times, Beilin a affirmé

que l’administration Obama avait tort de se fixer une échéance d’un an: «la

paix n’est pas pour dans un an (ou deux, ou trois); c’est absolument

impossible». Il se montre encore plus critique envers les pronostics

gouvernementaux dans les interviews accordées aux médias israéliens. Personne

ne croit à la réussite des pourparlers – personne, sauf la «Team Obama».


Les Américains comptent sur

l’effet de surprise:

au lieu de promettre d’instaurer la paix tant espérée dans un délai de deux ans,

ils essaieront de «régler toutes les questions ayant trait au statut final (…)

d’ici un an»
. Les délais n’étant jamais respectés, autant viser très haut. Il y

a un an, lorsque le représentant spécial George Mitchell a rencontré le

président israélien Shimon Peres dans l’espoir –Ô surprise– de relancer les

pourparlers israélo-palestiniens, j’avais

fait part de mes nombreux doutes sur Slate
. L’article

s’ouvrait sur une citation de Peres:


«Nous

devons prendre un nouveau départ et relancer les négociations avant la fin du

mois de septembre»
, a déclaré Peres. Comme si le mois septembre avait une

importance particulière. Le «nouveau départ» n'a pas été pris en août, en

juillet, en juin, et mai ou en avril; en quoi septembre 2009 sera-t-il

différent?


Laissez-moi donc ajouter: en quoi

septembre 2010 sera-t-il différent?


Les Américains disent que le

moment est propice. Peut-être l’est-il pour l’administration Obama (même si

l’on a du mal à comprendre pourquoi), mais les autres partis sont sans doute

loin d’être de cet avis. Israël et son premier ministre, Benjamin Netanyahou,

estiment que l’Iran est une priorité autrement plus urgente, et que le problème

palestinien peut attendre; par ailleurs, ils ne perçoivent aucun interlocuteur

sérieux côté palestinien. L’Autorité palestinienne et son président, Mahmoud

Abbas, ont été traînés à la table des négociations à leur corps défendant; ils

semblent peu disposés à céder le moindre pouce de terrain. Netanyahou n’a,

selon eux, pas la moindre intention de négocier, et il leur faut composer avec les

critiques du Hamas, de la Syrie et d’autres acteurs régionaux – ce qui n’est

pas chose aisée.


«De fait, il existe un véritable

déficit de confiance, et il va nous falloir trouver un moyen de le surmonter»
, explique

Dennis Ross, conseiller du président et spécialiste de longue date des

relations avec le Moyen-Orient. Netanyahou et Abbas ne se font pas confiance,

mais ils ont également des doutes quant au médiateur américain, à la méthode

choisie pour mettre fin au conflit, au moment choisi pour la tenue des

négociations, et à la probabilité d’atteindre les objectifs fixés. En somme,

voici deux véritables spécialistes des faibles espérances.


Ces faibles chances de réussite

peuvent être expliquées de multiples manières. «Les Israéliens et les

Palestiniens abordent les pourparlers du mois prochain en s’appuyant sur des

hypothèses de travail divergentes» serait une façon

de présenter les choses. On pourrait également dire

que «rien n’indique que les Palestiniens acceptent tout accord leur

garantissant moins qu’un Etat
viable doté d’un territoire contigu en

Cisjordanie (et, plus tard, à Gaza). (…) Rien n’indique que le gouvernement

israélien accepte tout accord leur garantissant plus qu’un “Etat” symbolique,

uniquement constitué de bantoustans isolés»
. Votre analyse dépendra du camp que

vous estimez responsable de l’échec à venir: les Israéliens, trop

va-t-en-guerre et hésitants? Les Palestiniens, intraitables mais trop fragiles

pour gouverner? Les pays arabes, «roublards»

et sans attaches? Ou ces naïfs d’Américains, par trop incompétents?


Toutes ces explications

comportent une part de vérité –et toutes sont proprement accablantes pour ceux

dont le destin est irrémédiablement lié à la saga du processus de paix. Lorsqu’une

«avancée décisive» a été réalisée, et que les «pourparlers directs» ont enfin

été annoncés, la nouvelle (visiblement importante) n’a même pas fait la une de

tous les quotidiens israéliens. Les pourparlers? Du déjà-vu, du réchauffé; quel

intérêt?


Loin d’arranger les choses,

l’opinion arabe vient au contraire assombrir le tableau. Selon une récente

étude
, 94% des Arabes estiment que la paix «est impossible»

ou qu’il faudra «plus de temps» pour y parvenir. Seuls 4% d’entre eux disent

croire à la signature d’un accord de paix d’ici cinq ans.


Il fut un temps où les faibles

espérances étaient justifiées; on nous disait même

qu’elles étaient la clé

du bonheur
. Quand revoyons-nous nos attentes à la baisse? Lorsque

nous espérons que notre humilité nous aidera à atteindre nos objectifs, ou lorsque

nous espérons être agréablement surpris par un avenir plus radieux que prévu.

Mais le processus de paix israélo-palestinien semble échapper à ces modèles; il

est l’anomalie, l’un des rares cas où les faibles espérances n’ont aucun rôle à

jouer, ne dissimulent aucun objectif, ne cachent aucune attente secrète. Dans

ce cas précis, si les espérances semblent faibles, c’est sans doute parce qu’elles sont à l’image de la

dure réalité. L’ancienne stratégie des faibles espérances n’a plus cours; elle n’est

qu’une victime de plus de ce conflit sans fin. Voilà au moins une bonne raison

d’espérer que ces pourparlers aient bien lieu.


Shmuel Rosner


Traduit par Jean-Clément Nau


Photo: Un drapeau palestinien sur fond de colonie israélienne non loin de Jérusalem. Ammar Awad / Reuters

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