mercredi 15 septembre 2010

Les artistes et la ville

Les artistes et la ville: "LA VILLE ET LES ARTISTES

UNE QUESTION QUI VIENT DE LOIN

La rêverie de la ville hante l'imaginaire depuis des millénaires. La Bible présente l'humanité, à sa naissance, dans un jardin («Iahvé Elohim planta un jardin en Eden, à l'Orient, et il y plaça l'homme qu'il avait formé.» Genèse II, 8) et, à sa fin, dans une ville («Il m'a montré la ville sainte, Jérusalem qui descendait du ciel, d'auprès de Dieu, avec la gloire de Dieu. Son éclat est pareil à une pierre très précieuse comme du jaspe cristallin.» Apocalypse de Jean, XXI, 10-11). Opposition de la nature à la culture dans laquelle se joue le destin des humains, «coincés» entre la nostalgie d'un paradis perdu et une cité céleste à venir, mais dont les délices ont à se mériter et se gagner. Chaque époque a ainsi rêvé son idéal en l'inscrivant dans cette dualité, donnant la primauté tantôt à la ville (avec ses constructions, ses palais, ses tours), tantôt à la nature (avec ses fontaines, ses forêts et ses vertes prairies). Et la Bible, encore elle, l'assure : c'est Caïn, rejeton dénaturé et criminel, qui, chassé d'Eden, a fondé la première ville (Enoch).
Cependant, jusqu'au XVIIIe siècle, le monde idéal - celui qui reste à conquérir et à construire - appartient plus au domaine de l'urbain qu'à celui de la nature qui, demeurée à l'état sauvage, est perçue comme menaçante, dangereuse, insondable. À l'intérieur de ses remparts, avec ses pouvoirs organisés et leurs symboles - cathédrale, palais... - la ville rassure et fascine une population qui demeure essentiellement rurale. D'ailleurs, le paradis, que la Bible décrit comme une nature intacte et inviolée, est fréquemment représenté dans l'art du Moyen Âge sous la forme d'une cité avec son architecture et ses remparts. C'est que le prestige et le dynamisme de la ville sont considérables, même si des clercs ne vont pas tarder d'y dénoncer le règne de l'argent et de la sensualité (la ville peut être aussi la Babylone de l'Apocalypse, ou Sodome !). Bien longtemps après, la villa gardera cette figure contradictoire de la «perdition» ou de «l'émancipation», de la «vertu» ou du «vice», de «l'avilissement» ou de «l'accomplissement», que l'on se reporte au Mondain de Voltaire - et à son optimisme - comparé aux sarcasmes d'un Rousseau !
On connaît la fameuse formule de Fernand Braudel : «La ville est césure, rupture, destin du monde. Quand elle surgit, porteuse de l'écriture, elle ouvre les portes de ce que nous appelons l'histoire. Quand elle renaît en Europe avec le XV siècle, l'ascension de l'étroit continent commence. Qu'elle fleurisse en Italie et c'est la Renaissance [...] Tous les grands moments de croissance s'expriment dans une explosion urbaine» (Civilisation matérielle, économie et capitalisme, Xe-XVIIIe siècle). Et de fait, l'architecture naît en Occident à la Renaissance, au moment où la ville médiévale voit son ordre disloqué par l'essor d'une économie capitaliste qui va modifier la structure sociale et la place des groupes sociaux dans l'espace, en liaison avec la localisation d'activités laborieuses nouvelles. Elle va être également rendue possible par une avancée scientifique (la maîtrise mathématique et technique de l'espace euclidien abstrait et de la perspective). Avec l'architecture, c'est le flamboiement des peintres qui s'impose dans la ville, là où sont les bâtiments, et les commanditaires."

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