mardi 7 septembre 2010

Savoir perdre

Savoir perdre: "Le désir travaille comme le vent. Sans effort apparent. Voiles déployées, il file à une vitesse folle. Portes et volets clos, il cogne en quête de brèches ou de rainures pour s'infiltrer. Le désir associé à un objet nous condamne à lui. Mais il peut prendre une autre forme, abstraite, déconcertante, qui nous enveloppe comme un état d'âme et annonce que nous sommes prêts. Il nous reste alors juste à attendre, toutes voiles dehors, qu'il souffle vers nous. C'est le désir de désirer.
Sylvia est assise au fond de la classe, près de la fenêtre, à l'avant-dernier rang. Derrière elle il y a seulement Colorines, un Colombien qui porte le survêtement de l'équipe d'Espagne et somnole pendant les cours toute la journée. Sylvia aura seize ans dimanche. Elle a l'air plus âgée, son attitude un peu distante la place au-dessus de ses camarades. Ces mêmes camarades qu'elle examine à présent.
Il n'est pas là. Celui dont la bouche effleurera ma bouche. Dont la langue se mélangera à la mienne. Celui dont les dents mordront ma lèvre inférieure, le lobe de mon oreille, un coin de mon cou, un pli de mon ventre. Il n'est pas là.
Non.
Dans sa classe, Sylvia est entourée de corps à moitié formés, de visages qui ne leur correspondent pas, de bras, de jambes aux mauvaises proportions, comme si tous grandissaient par à-coups désordonnés. Les bras de Carlos Valencia qu'on aperçoit, puissants, sous sa chemise, sont attirants et bronzés, mais il est prétentieux et sans charme. Soso Sepúlveda a des mains de dessinateur, délicates, mais il est indolent, sans énergie. Raúl Zapata est mou, il n'a définitivement rien du corps que Sylvia aimerait accueillir telle une vague de chair sur le sien. Nando Solares a tellement de boutons plein la figure qu'on le confond parfois avec le crépi du mur. Manu Recio, Óscar Panero et Nico Verón sont sympas, mais immatures ; le premier a du duvet au-dessus des lèvres, le deuxième parle à tort et à travers et le troisième est juste en train de s'enfoncer deux crayons de papier dans le nez pour faire rire les copains."

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