mercredi 25 août 2010

Katrina: la Nouvelle-Orléans cinq ans après

Katrina: la Nouvelle-Orléans cinq ans après: "

Voilà un bout de temps que je ne pense plus à Katrina tous

les jours. En tant que membre de la diaspora de la Nouvelle-Orléans, je ne suis

jamais confronté aux restes visibles de la destruction – les bâtiments

abandonnés, les terrains vagues et les maisons sur les portes desquelles est

encore inscrit, à la

bombe de peinture,
le nombre de morts à l’intérieur. Lorsque j’enfile

ma casquette des Gold Saints, je

pense au Super Bowl et pas au fait que

l’équipe a failli partir pour

Los Angeles ou San Antonio
l’année suivant la tempête. Mais une fleur

de lys (l’emblème des Gold Saints)

est bien plus qu’une fleur de lys. La semaine dernière, un homme assis dans un

bus, avisant ma casquette, a enlevé ses écouteurs et m’a dit qu’il avait quitté

la Nouvelle-Orléans au moment où la tempête faisait rage – il m’a dit qu’il

souhaitait ardemment rentrer mais qu’il n’y est pour l’instant pas parvenu. Lui

pense à Katrina chaque jour.


Lorsque j’ai fait le deuil de la Nouvelle-Orléans

en août 2005, je pensais avant tout à ma famille et aux lieux qui m’étaient

chers: la maison de mes grands-parents, Audubon Park, le Rock ‘N’ Bowl. Cinq

ans plus tard, l’héritage de Katrina est moins présent que je l’imaginais. Si

la tempête a naturellement affecté le paysage de la Nouvelle-Orléans, ses

effets sont aussi visibles qu’invisibles. Katrina est un désastre collectif

enduré en privé, une tragédie qui constitue une rupture temporelle pour tous

les habitants de la Nouvelle-Orléans. Les vies sont aujourd’hui divisées en

avant et après Katrina, chaque événement post-ouragan n’étant relié au passé

que par une ligne pointillée, quand il est relié.


Pour ma grand-mère, Katrina est liée aux soins qu’elle

portait à mon grand-père. Alors que le vent et la pluie menaçaient la côte, ils

ont quitté leur maison en emportant des médicaments et des vêtements pour

quelques jours. Ils sont rentrés à la Nouvelle-Orléans après avoir passé cinq

mois à Houston, mais n’ont pas pu regagner

leur foyer
. La maison dans laquelle ils avaient vécu durant un

demi-siècle était inondée, moisie et inhabitable.

Ils ont déménagé dans un appartement plus petit, et les quelques biens qu’ils

ont pu sauver –vaisselle, livres et tout ce qu’il est possible d’accumuler en

57 ans de mariage- a été entreposé dans des cartons. Mon grand-père est mort un

an après leur retour et ma grand-mère pense à Katrina chaque jour –à chaque

fois qu’elle pense à lui.


Tout le monde a son histoire de Katrina –ce que vous avez

vu, les biens et les personnes que vous avez perdus. C’est cette accumulation

d’expériences particulières qui donne à la tempête cette dimension si

personnelle. La reconstruction de la ville et de la Gulf Coast a également pris

une dimension très personnelle. Katrina a donné naissance à une culture de la

débrouille individuelle. Lorsque les eaux se sont retirées, le programme

Road Home
n’a pas été en

mesure de fournir les fonds nécessaires promis à des propriétaires désespérés,

tandis que la gouverneur Kathleen Blanco et le maire de la Nouvelle-Orléans,

Ray Nagin, se rejettaient l’un sur l’autre (ainsi que sur le directeur de la

FEMA, Michael Brown) la responsabilité du manque de coordination et de progrès.

Les familles et les associations locales ont fait, pour elles-mêmes, ce que les

bureaucrates s’avéraient incapables de faire, en reconstruisant leurs quartiers

par la seule force de la volonté.


Cette autarcie contrainte a considérablement modifié la

psyché et la politique de la Nouvelle-Orléans post-Katrina. Joseph Cao, avocat issu

de l’immigration n’avait jamais, avant l’ouragan, mis le doigt dans la

politique. Après la tempête, il a été au coeur d’une des plus belles histoires

de la Nouvelle-Orléans, la reconstruction en un temps record du quartier

américano-vietnamien dans l’est de la ville. Cao, tirant parti du rôle de

premier plan qu’il avait joué dans cet épisode, a fait son entrée à la Chambre

en 2008, battant le sortant William J. Jefferson, figure politique locale aujourd’hui

en prison pour

corruption aggravée
. Le maire de la Nouvelle-Orléans, Mitch Landrieu et

le président de la Paroisse (en Louisiane

les Comtés s’appellent des Paroisses (Parish), note du traducteur
) de

Plaquemines, Billy Nungesser ont sortit les sortants en promettant qu’à

l’inverse de leurs prédécesseurs, ils ne se laisseraient pas aller à

l’inaction. (Cette philosophie à été mise à rude épreuve avec la fuite

de pétrole de BP
, Nungesser insistant sur le fait que lui et les autres

représentants faisaient «tout ce qui était physiquement possible pour sauver le

littoral de la Louisiane».)


Cette croisade contre l’inertie pourrait bien se transformer

en un simple outil rhétorique pour une nouvelle génération de politiciens

corrompus en Louisiane. Il semble pourtant que quelque chose de différent est

en train de se mettre en place. Avant la tempête, les problèmes de la Nouvelle-Orléans

-un système scolaire défaillant, des infrastructures déliquescentes et un fort

taux de criminalité - semblaient systémiques et irréductibles. Katrina a montré,

de la pire des manières, que la façon dont les choses se déroulent n’est pas immuable.

Car l’ouragan a également fourni aux habitants de la Nouvelle-Orléans une

occasion sans précédent de reconstruire une ville qui ne fonctionnait pas.


Les changements opérés dans la Cité du Croissant (surnom de la Nouvelle-Orléans) depuis

Katrina sont impressionnants. Peu après la tempête, l’Etat

a pris le contrôle des écoles les moins performantes du service public
.

En 2007, le Conseil municipal a fait voter la

destruction de 4 500 logements du parc public
, avec la promesse qu’ils

seraient remplacés par des résidences accueillant des catégories sociales

variées. Cette année, Landrieu et le service de l’inspecteur

général de la ville
ont décidé de s’attaquer au système

des marchés publics
, notoirement corrompu. Le département de la Justice

et le FBI, parmi d’autres, participent aux efforts entrepris pour réformer

la police de la Nouvelle-Orléans
, que le maire à décrit, lors de son

entrée en fonction, comme «une des pires polices du pays».


Ces réformes ont été naturellement très applaudies par les

partisans de la bonne gouvernance. Le «New Orleans

Index at Five
», un grand rapport produit par la Brookings Institution

et le centre de Statistique de la Great New Orleans Community tend à montrer

que la ville a bien plus de ressort depuis Katrina. Depuis la

catastrophe,insiste le rapport,

les organisations de quartier jouent un rôle civique plus important, davantage

d’enfants ont accès à des écoles de meilleure qualité, dont le nombre a

augmenté, et le long processus de réforme du logement public et du système

judiciaire est sur les rails.


Mais malgré tout ce qui a déjà été fait, les problèmes structurels

de la Nouvelle-Orléans n’ont pas pour autant disparu. Avant comme après

Katrina, des tensions subsistent entre la culture indestructible de la ville et

son économie fragile. Les orchestres de jazz et les Social Aids

and Pleasure Clubs
ont fait leur grand retour, démontrant la volonté de

rétablir les traditions qui ont fait de la Nouvelle-Orléans une ville unique.

Mais la ville n’est pas parvenue à moderniser une économie pour l’essentielle

centrée sur le tourisme, le pétrole et le gaz, ainsi que sur le fret. La

récession d’ampleur nationale, la fuite de pétrole de BP et la fermeture

annoncée des chantiers navals d’Avondale
rendent ces ressources

potentielles plus fragiles que jamais.


Katrina a également exacerbé les tensions raciales

préexistantes à la Nouvelle-Orléans. L’ouragan, dont les conséquences ont bien

plus dramatiquement frappé les habitants noirs et pauvres a vu la population

des Africains-Américains passer de 67% en 2000 à 61% en 2008 (PDF)

dans la Paroisse d’Orleans (où se situe la ville). Landrieu, premier maire

blanc de la ville depuis son père,

Moon Landrieu
, en 1978, a remporté les élections grâce à un soutien

massif des noirs, déclarant que sa victoire «était le signal d’une ville ayant

décidé d’être unie plutôt que divisée». Malgré cela, les divisions ne peuvent

être balayées du jour au lendemain. La destruction, en 2007, du parc de

logement public, a été perçue par certains dirigeants de la communauté comme

une manière de se débarrasser

des Africains-Américains à faible revenu
. Et les rapports

incessants de fusillades à caractère racial
qui se sont produites dans

les jours suivant la rupture des digues – un ancien habitant blanc a été

récemment mis en examen pour crime racial après avoir insulté

trois «étrangers» noirs avant de leur tirer dessus à Algiers Point
- ont

encore renforcé l’idée que la réconciliation raciale est un rêve impossible.


Bien qu’il y ait de nombreuses raisons de se montrer cynique

à l’égard de la Nouvelle-Orléans post-Katrina, l’expérience de mort imminente

de la ville tend à changer votre point de vue. Chacun de mes séjours dans cette

ville qui est la mienne revêt davantage d’importance, me donnant l’occasion de

visiter les lieux que je craignais engloutis à tout jamais en 2005. Mais je

visite également des quartiers où je ne m’aventurais pas auparavant, pour

admirer les progrès sur le Lower Ninth Yard, me balader dans Gentilly et le New

Orleans East, admirer les extravagants costumes indiens de Mardi Gras présentés

dans la House of Dance and

Feathers
. Katrina fut un désastre personnel, mais ce désastre m’a

donné l’occasion de réaliser à quel point la Nouvelle-Orléans, mais aussi ses

habitants, forment un tout. Au-delà des Saints,

de la musique et de la culture, je réalise aujourd’hui que tout le monde est

partie prenante de cette ville, derrière les mêmes digues et levées fragiles.


Josh Levin


Traduit par Antoine Bourguilleau


Photo: Nouvelle-Orléans quartier du Lower Ninth Yard Eric Leser

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