mercredi 25 août 2010

NDM-1: les très sales bactéries de New Delhi

NDM-1: les très sales bactéries de New Delhi: "

De mortelles petites bêtes peuvent émerger des pays

émergents. C’est le cas aujourd’hui avec le sous-continent indien, inquiétant réservoir

de souches de bactéries résistantes à la quasi-totalité des médicaments

antibiotiques aujourd’hui disponibles. Des bactéries qui –via des personnes

infectées prenant l’avion–

commencent à circuler à l’échelon planétaire. Les spécialistes

d’infectiologie (ils ont–eux aussi– un jargon et quelques lubies) ont baptisé

«NDM-1» ces nouveaux micro-organismes. «NDM-1» pour «New Dehli

métallo-bêta-lactamase». En clair: des bactéries identifiées pour la première

fois dans la capitale de l’Inde (près de vingt millions d’habitants) et porteuses

d’un gène qui leur permet de résister aux multiples armes médicamenteuses jusqu’alors

habituellement destructrices.


De plus en plus de foyers


Pour

les plus affûtés des bactériologistes, l’affaire est tout sauf anecdotique;

tout sauf médiatiquement gonflée. Elle vient d’être détaillée sur le site du

mensuel spécialisé The

Lancet Infectious Diseases
par une équipe internationale coordonnée par

deux spécialistes britanniques Timothy Walsh et Neil Woodford. Les premiers germes en cause furent des entérobactéries,

une famille de bactéries (pathogènes ou pas) largement présentes dans

l’environnement ainsi que dans les tubes digestifs des animaux et des

hommes. Mais désormais l’inquiétude,

ici, est triple:



  • le nouveau

    gène de résistance identifié en Inde contamine avec une très grande facilité

    différentes variétés bactériennes très répandues et responsables d’infections

    dépassant largement la sphère digestive

  • ces

    bactéries résistantes sont depuis peu retrouvées dans un nombre croissant de

    pays

  • le

    nombre d’antibiotiques qui pourraient être efficaces est largement inférieur à

    celui des doigts d’une main et aucun nouveau médicament de taille n’est annoncé

    à court ou moyen terme dans les richissimes tuyaux de Big Pharma.


Constat. Des souches NDM-1 ont

été récemment identifiées en Grande-Bretagne, en Belgique, au Canada, en Suède,

aux États-Unis, aux Pays-Bas et en Australie. Identification faite chez des

personnes ayant été hospitalisées dans le sous-continent indien avant de

bénéficier d’un rapatriement sanitaire. Des

foyers épidémiques multi-résistants ont aussi été également recensés en Grèce

et en Israël. La France n’est pas

épargnée
. Une bactérie

de ce type vient d’être identifiée chez une jeune femme hospitalisée dans le

sud de l’Hexagone pour une infection urinaire contractée après un séjour dans

un hôpital du sud de l’Inde (ce pour une intervention chirurgicale lourde).

Auparavant, un cas avait été dépisté en avril dernier chez un Français –là

encore– de retour d’un voyage en Inde. Les deux patients restent hospitalisés

et maintenus en isolement.


Un conseil: renforcer l'hygiène


Le

ministère de la Santé vient

fort opportunément de réagir
. Un dépistage systématique chez les personnes

hospitalisées en provenance d’un hôpital étranger (soit entre 10.000 et 20.000

personnes) va être mis en place. Il devrait en être bientôt de même chez les personnes à risque hospitalisées dans les

services de réanimation. Sur l’avis du Haut Conseil de santé publique, la Direction

générale de la santé recommande en outre aux établissements hospitaliers et aux

professionnels de santé le renforcement des mesures d’hygiène (isolement

septique, lavage des mains…) autour des personnes potentiellement infectées

ainsi que le renforcement de la surveillance nationale de la résistance à

certains antibiotiques. Une forme de déclaration de guerre antibactérienne.


L’affaire

est tout sauf anecdotique. La très vive inquiétude des spécialistes tient à la

fois aux caractéristiques des bactéries concernées et à l’immense réservoir que constitue le sous-continent

indien: 1,4 milliard d’habitants; échanges massifs de flores bactériennes;

règles d’hygiène inconnues ou inapplicables; eaux massivement contaminées;

diarrhées infantiles récurrentes, etc. Tous les pays ne sont toutefois pas

également concernés: les premiers visés sont ceux qui ont le plus d’échanges de

population avec l’Inde et le Pakistan; à commencer par le Royaume-Uni. Pour le Pr Patrice

Nordmann
, chef du service de bactériologie-virologie-parasitologie de

l’hôpital de Bicêtre, par ailleurs directeur de l’unité «Résistances émergentes

aux antibiotiques» de l’Institut national de la santé et de la recherche

médicale (Inserm) il n’y a ici aucune fatalité. Dans les

colonnes du Monde
, il

expliquait il y a quelques jours que cet abcès grossissant trouvait vraisemblablement son origine en Inde, vers

2005 ou 2006; et ce du fait de l’association de facteurs favorisant l'émergence

de résistances bactériennes: problèmes d'hygiène, surpopulation, climat chaud

et humide, usage à la fois «non raisonné» et «hors prescription médicale» des

médicaments antibiotiques.


Il ajoutait

aussi, incidemment, qu’il importe ici de tenir compte de ce sous-continent sanitaire qu’est le «tourisme médical»;

flux qui ne peuvent jamais être dissociés du passé colonial.


Pr Nordmann: «Pour

la chirurgie esthétique, les patients vivant en Grande-Bretagne vont se faire

opérer en Inde ou au Pakistan en raison d'un coût et de délais d'attente

moindres que chez eux. Les Français vont beaucoup plus volontiers au Maroc ou

en Tunisie, qui ne semblent pas touchés pour l'instant.»



Dont acte.


Jean-Yves Nau


Photo: Un pneumobacille, dans lequel a été trouvé NDM-1 la première fois / Wikimedias Commons

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