jeudi 23 septembre 2010

Areva, le Niger et les Touaregs: une histoire des conflits d'intérêts

Areva, le Niger et les Touaregs: une histoire des conflits d'intérêts: "

Au Niger, les intérêts stratégiques de

la France sont en jeu. Les mines d’Arlit produisent l’uranium indispensable au

fonctionnement des centrales nucléaires d’EDF qui fournissent les trois quarts

de l’électricité consommée dans l’Hexagone. Mais pour se prémunir des aléas

plus géopolitiques que géologiques, le groupe français Areva, numéro un mondial

de l’extraction d’uranium (8.623 tonnes en 2009 dans le monde) a diversifié ses sources. Il opère aussi au Canada, au Kazakhstan, en

Namibie…


Cette diversification se justifie

d’autant plus que, selon les statistiques établies par Bertrand Barré,

conseiller scientifique du groupe, les réserves d’uranium au Niger ne

représentent que 3% des réserves mondiales, contre 24% pour l’Australie, 17%

pour le Kazakhstan, 13% pour le Canada… Mais la place du Niger dans l’univers

d’Areva s’en trouve modifiée et les relations entre Paris et Niamey passent

par des épisodes d’extrême tension.


Le Niger n’est plus la carte maîtresse d’Areva


En 2008, le gouvernement nigérien a

accusé Areva de soutenir la rébellion touareg et prévenu les autorités

françaises qu’il serait dorénavant beaucoup plus attentif aux propositions de

groupes concurrents dans l’extraction d’uranium, notamment chinois. Ainsi, alors

que les mines au Canada sont devenues les principaux gisements d’extraction

d’Areva et que montent en puissance Kazakhstan et Namibie, la part des mines du

Niger va encore reculer.


Cette situation ne semble pas être

totalement étrangère aux conditions de l’enlèvement sur le site d’Arlit de cinq

Français, un Malgache et un Togolais, opération revendiquée par Aqmi (al-Qaida au

Maghreb). Compte tenu des intérêts stratégiques de la France sur place, on peut

être stupéfait d’apprendre que la surveillance du site n’était assurée que par

des vigiles non armés dans un Sahel où le risque terroriste existe et où des

enlèvements sont régulièrement perpétrés. Certes, l’accord négocié par Paris et

Niamey à la suite des tensions de 2008 prévoit que les sites d’Areva au Niger

sont sous la protection de l’armée et de la gendarmerie nigériennes. Mais manifestement, compte tenu de la

fraîcheur des relations qui s’est installée entre les deux capitales, cette

protection d’intérêts français n’est plus la priorité des autorités de Niamey.


Protection sous condition, avertissement sans suite


D’autant que le Niger manque de moyens:

dans une lettre à Areva datée du 1er septembre, le capitaine Seydou

Oumanou, préfet d’Arlit, soulignait que «la situation sécuritaire reste hélas

précaire dans la région d’Agadez en raison des actes de banditisme de plus

en plus fréquents. Cette situation est malheureusement en train de se dégrader

davantage particulièrement dans le département d’Arlit. (…) Vous comprendrez

que dans ces conditions la menace du groupe Aqmi est à prendre au sérieux car

un tel contexte est favorable à toutes les actions crapuleuses»
.

Insistant sur le manque de moyens à sa disposition, le préfet «exhortait» la direction du groupe à

créer une «dynamique» et de fournir des «contributions en moyens matériels et

financiers nécessaires»
. En clair, le préfet d’Arlit demandait à Areva de

contribuer au financement de sa protection par l’armée.


La direction d’Areva a bien pris

connaissance de cette lettre
, estimant qu’elle «s'inscrit dans

le cadre du dialogue et de l'évaluation permanente des moyens financiers et

matériels qu'Areva met à disposition des autorités gouvernementales du Niger».
Les choses en sont restées là, malgré

la menace créée par la présence dans la région, comme indiqué dans la lettre.

Car à la suite des rencontres les 8

et 10 septembre avec les autorités militaires et administratives, Areva a

considéré que «ni le préfet d'Arlit, ni les autres autorités n'ont

communiqué d'information particulière»
.


Des Touaregs hors de contrôle


Conseillé par la société EPEE, spécialisée dans

l’assistance des entreprises à l’étranger et la protection de leur patrimoine, Areva

s’assure les services de sociétés locales de gardiennage pour assurer la

sécurité sur les sites. Celles-ci emploie des Touaregs, ce qui avait permis au

gouvernement de Niamey d’accuser le groupe de soutenir la rébellion au moment

des soulèvements dans toute la zone sahelienne.


Aujourd’hui, la rébellion est terminée. L’Algérie a

beaucoup travaillé à l’abandon de la violence. Même le président libyen Khadafi

qui, en 2006, militait pour la création d’une Ligue populaire et sociale des

tribus du Grand Sahara et voulait réunir à terme tout le Sahara en un État

fédéral, a appelé au dépôt des armes. Celui-ci est intervenu en 2009 à

l’occasion d’une réunion des tribus touaregs du Mali, du Niger et de la Libye,

rappelle le journaliste engagé Saâd Lounès. Pour faire bonne mesure, le Niger a

décrété l’an dernier une amnistie pour les rebelles touaregs.


Toutefois, les regroupements de population continuent

de poser problème. La majorité des tribus touaregs cherchent maintenant à

acquérir une certaine autonomie régionale, mais leur situation s’est dégradée.

«Chacun y a contribué en utilisant les divisions et les intérêts à court terme

des uns et des autres»
, commente un diplomate qui fut en poste dans la région. Dans

ce contexte, les fondements d’une culture fortement imprégnée par le banditisme

armé demeurent très présents. Et certains jeunes adultes de ces tribus attirés

par l’argent facile, ont vite fait de choisir la participation à des trafics de

toutes natures à travers le Sahel.


Cigarettes, carburants, armes et enlèvements, le

Sahara devient une plaque tournante parcourue par des bandes armées. Les otages

entrent dans cette logique de monnaie d’échange. C’est ainsi que s’établissent

des axes de convergences avec Aqmi, que la surveillance des personnels d’Areva

s’est révélée défaillante et que, d’après Le Monde, le président de la société

EPEE a pu parler de «trahisons internes». Mais pour les Touaregs eux-mêmes qui

peuvent offrir à Aqmi l’apport logistique dont les islamistes peu nombreux sur

place ont besoin, les enjeux ont changé. Cette évolution par ailleurs très

récente n’a pas été suffisamment perçue et intégrée par les sociétés

nigériennes de gardiennage et par les responsables des systèmes de sécurité

d’Areva.


Pas de dérive intégriste chez les anciens rebelles


Pour autant, les spécialistes du Sahel ne perçoivent

pas –à ce stade– de dérive des Touaregs vers l’islamisme. «Il n’y a pas

d’islamisme, pas d’intégrisme chez les Touaregs
, confirme Thierry Tillet, maître de conférences à l'Université de Grenoble et

spécialiste de l’histoire saharienne. Mais il existe un problème

d’intégration des Touaregs parce qu’ils sont craints par le gouvernement

nigérien qui est du sud.»
Cette

fracture a de lourdes conséquences: «Le problème posé par Aqmi pourrait

être réglé par les Touaregs, mais le gouvernement ne veut pas leur donner des

armes, et les Touaregs disent qu’ils ont rendu les leurs en mettant fin à leur

rébellion.»


L’Europe en retard dans l’antiterrorisme au Sahara


La France a aussi sa part de

responsabilité. Ses centres d’intérêts se détournent des pays d’Afrique

occidentale; au Niger, la Chine prend de plus en plus la place qu’elle occupait

autrefois. Et dans le cadre du Plan Sahel contre le terrorisme qui associe la

Mauritanie, le Mali et le Niger, elle reste très en retrait pour apporter son

soutien tout comme les autres pays de l’Union européenne, commente le journal

algérien Le Temps. Au point que, dans le cadre de leur politique globale, les

Etats-Unis se révèlent aujourd’hui plus présents que les pays européens pour

mettre en place une association transsaharienne antiterroriste. Pour la société

EPEE, «il est temps que ce plan devienne réalité»: depuis sept ans, on

compte pas moins d’une soixantaine d’otages enlevés dans la zone du

Sahel.


Gilles Bridier

"

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire