jeudi 26 août 2010

Pourquoi la planète se fiche des Pakistanais?

Pourquoi la planète se fiche des Pakistanais?: "

Selon les Nations unies, les

inondations au Pakistan ont fait plus de dégâts à elles seules que le tsunami

de l’océan Indien
(2004), le tremblement de terre du Pakistan (2005) et celui

d’Haïti (2010) réunis. Pour autant, les Nations unies, les ONG et le

gouvernement pakistanais renâclent à apporter leur aide aux sinistrés, qui

l’attende depuis des semaines.


Après le tremblement de terre survenu

en Haïti, 3,1 millions d’Américains avaient – via leurs téléphones portables – fait chacun un don de 10 dollars à la Croix Rouge; l’organisation avait ainsi réuni 31

millions de dollars environ. Une récente campagne du même type organisée pour

le Pakistan n’a récolté que… 10.000 dollars. En 2004, après le tsunami, les

organisations d’aide humanitaire avaient recueilli 1.249,80 dollars par victime; ce chiffre était de 1.087,33

dollars après le tremblement de terre d’Haïti. Le tremblement de terre de 2005,

au Pakistan, avait lui aussi suscité un plus grand élan de générosité: 388,33

dollars par sinistré. Pour l’heure, les organisations n’ont récolté que 16,36

dollars par victime des inondations.


Pourquoi la communauté internationale

fait-elle preuve de tant de réserve face à ce désastre naturel, qui compte

pourtant parmi les plus dévastateurs de notre époque? Voilà sans doute le

mystère le plus captivant – et le plus grave – du moment.


Tout le monde y va de sa petite

analyse, et ne sont pas les hypothèses qui manquent. C’est parce que les gens

en ont assez de donner. C’est parce que les gens en ont assez de donner au

Pakistan. C’est parce que le gouvernement pakistanais est corrompu, et qu’on ne

peut pas lui faire confiance. C’est parce que les victimes sont musulmanes.

C’est parce que les gens pensent qu’une puissance nucléaire peut se débrouiller

par elle-même. C’est parce que les inondations (et c’est particulièrement vrai

ici) sont des phénomènes destructeurs, mais progressifs; la catastrophe n’est

pas instantanée. C’est parce que les budgets des pays occidentaux sont plus

restreints qu’avant. C’est parce que les effets de la crise financière se font

encore sentir...


Il y a du vrai dans toutes ces

explications. Mais la raison principale est ailleurs. Au final, si le Pakistan

ne reçoit pas d’aides proportionnelles à la gravité de la situation, c’est

d’abord et avant tout… parce qu’il s’agit du Pakistan. Si une catastrophe de

cette ampleur touchait un autre pays du monde, le reste de la planète traiterait

de la question sous un angle humanitaire. Mais le Pakistan n’est pas un pays

comme les autres. Lorsque les victimes sont des citoyens d’Haïti ou du Sri

Lanka (qui sont loin d’être les pays les plus stables et les mieux gouvernés de

la planète), les Américains et les Européens leur ouvrent immédiatement leur

cœur et leur porte-monnaie. Mais dès lors qu’il s’agit du Pakistan, l’humanité

des victimes s’efface devant l’idée préconçue que se font les occidentaux de ce

pays.


Le Pakistan est un pays que

personne ne comprend
réellement – et qui, pourtant, ne manque pas d’«experts». Si

vous êtes expert de la prolifération nucléaire, on fait soudain de vous un

expert du Pakistan. Expert du terrorisme? Idem: expert du Pakistan. Spécialiste

de l’Inde? Expert du Pakistan! Vous êtes originaire d’Asie du Sud, et vous êtes

chercheur, journaliste, ou membre d’un think tank? Bingo: vous êtes

aussi expert du Pakistan. Vous en voulez à vos parents de vous avoir envoyé

dans une madrasa d’extrémistes quand vous étiez petit? Devinez quoi: vous êtes

expert du Pakistan.


Cette unique source d’expertise

internationale confère bien évidement au Pakistan l’image d’un pays effrayant. Entre

notre peur du terrorisme, l’inquiétude que peut nous inspirer un pays musulman

doté de l’arme nucléaire, et l’embarras de la communauté internationale face à

un service de renseignement qui fait ce qui lui chante (et non ce que nous

voulons qu’il fasse), une chose est sûre: le Pakistan met le monde – et tout

particulièrement les Américains – extrêmement mal à l’aise. Selon une étude

Gallup datée de 2008, aux Etats-Unis, seuls l’Afghanistan, l’Irak, l’Autorité

palestinienne, la Corée du Nord et l’Iran étaient moins populaires que le

Pakistan.


Les médias internationaux sont tous

fous de l’Inde, et le Pakistan a lui-même commis nombre de fautes. Résultat: ce

dernier a fini par devenir le méchant de service. Faites le test: vous aurez

bien du mal à trouver un reportage vantant ses incroyables paysages, sa

diversité, sa cuisine, sa conception unique de l’Islam, sa passionnante tradition

musicale en constante évolution, ou encore ses nombreux sportifs de talent – autant

de qualités dont, pourtant, le pays regorge.


Les répercussions? Jugez par vous

même. En 2007, lorsque le coach de l’équipe nationale de cricket du Pakistan

(un Anglais du nom de Bob Woolmer) a été retrouvé mort dans sa chambre d’hôtel,

la presse internationale s’est empressée de se demander s’il avait été tué par

l’un de ses joueurs. Cet exemple résume à lui seul nos rapports avec le

Pakistan d’aujourd’hui.


Contrairement à ce que peuvent

imaginer les nombreux Pakistanais amateurs de la théorie du complot, les

soupçons et le mépris que peuvent inspirer leur pays ne sont ni délibérés, ni

le fruit d’un savant calcul politique. Voilà simplement ce qui arrive lorsque

l’on joue le rôle de l’éternel voyou dans une région que le reste de la planète

rêve de transformer en nouvelle Scandinavie. Le monde de l’après 11-Septembre

ne peut plus se permettre d’avoir un ghetto dysfonctionnel sur les bras en Asie

du Sud et en Asie centrale – si l’on en croit les tenants de la doctrine

paternaliste.


Non seulement les Pakistanais semblent

peu désireux d’accepter ce programme de transformation de leur région, mais

voilà que la nature elle-même semble s’y opposer. Les inondations sont la

troisième catastrophe humanitaire de l’histoire récente du pays. Le tremblement

de terre de 2005 et les déplacements des populations du district de Swat et des

régions tribales de 2009 ont été aussi des désastres. Le soutien de

la communauté internationale fut alors précieux, car il a permis d’atténuer

l’impact de ces catastrophes. Toutefois la plupart des experts s’accordent pour

dire que ce sont les Pakistanais – membres du gouvernement comme habitants –

qui ont fait le plus gros du travail.


Les inondations de 2010 ont

changé la donne. Ce pays ne sera jamais le même; ne pourra plus jamais l’être.

Il lui faudra des années pour se relever de cette catastrophe; des pertes

humaines, des maladies, de la pauvreté et de la souffrance. Retirer les tonnes de boue, nettoyer, reconstruire les principales autoroutes, canaux et stations de pompage coûteront si cher que le simple calcul du montant des dommages

sera sans doute en lui-même une tâche fastidieuse. La reconstruction de ces

infrastructures vitales sera un défi d’une ampleur sans pareille.


Je me suis rendu il y a peu à

Pashtun Ghari, village relativement prospère de la province de Khyber Pakhtunkhwa.

Pashtun Ghari est situé à deux pas de l’historique Grand Trunk Road et à trois

kilomètres du fleuve. Les sinistrés ne se sont pas plaints d’avoir été

abandonnés par les autorités; ils semblaient même assez satisfaits de l’aide

qu’on leur avait apportée. Pour autant, les habitants étaient frappés d’une

tristesse inconsolable: tout le bétail du village – quelque 2.300 vaches –

avait péri sous les eaux, qui s’élevaient à plus de trois mètres lors de la

première vague d’inondation.Le bétail est à la fois un capital et une source

de revenus pour les villageois pakistanais qui vivent le long de l’Indus. Il est presque

impossible de se relever d’une perte de cette ampleur.


Le fait que les populations du

reste du monde ne portent pas le Pakistan dans leur cœur ne rend pas moins

humaines les victimes de cette catastrophe; il ne rend pas non plus leur

souffrance moins insupportable. Il est parfaitement possible de porter un

regard critique sur les hommes politiques pakistanais; de dénoncer leur

aveuglement et leur cupidité. Il n’y a rien d’anormal à s’inquiéter de la

grande influence dont jouissent les services de renseignement pakistanais, et

des rapports indiquant qu’ils soutiennent toujours les talibans d’Afghanistan.

On peut même excuser les certitudes fantaisistes de certains, qui vont jusqu’à

penser que quelques centaines de terroristes talibans et de membres d’al Qaida

sont en mesure de s’emparer d’un pays défendu par plus de 750.000 hommes et

femmes de l’armée pakistanaise, et par les 180 millions de contribuables qui

paient les salaires de ces derniers.


Mais va-t-on demander aux fermiers

de Pashtun Ghari, de Muzzafararh et de Dera Ghazi Khan, de Shikarpur et de

Sukkur d’apaiser eux-mêmes ces peurs avant d’espérer pouvoir recevoir les aides

qui leur permettront de trouver de nouveaux moyens de subsistance? Vingt

millions de personnes sont aujourd’hui à la recherche d’un endroit sec où

pouvoir dormir, d’un peu de nourriture, d’une gorgée d’eau potable – et les

seules questions que nous nous posons ont trait à la politique et à la sécurité

internationale. Le Pakistan n’est pas le vrai problème. Le problème se trouve à

la source de ces fameuses questions.


Le leadership moral des

dirigeants pakistanais est certes plus qu’affligeant, mais punir des millions

de sinistrés sans défense serait la pire des façons de signifier notre rejet

des élites pakistanaises, de leur duplicité et de leur corruption. Les pauvres,

les affamés et les sans-abri ne font pas partie d’un complot monté par l’ISI

dans l’espoir de vous soutirer votre argent. Ils mettent à l’épreuve votre

humanité. Ne suivez pas l’exemple des élites pakistanaises; ne les trahissez

pas. Ce serait immoral; inhumain. Quelles que soient nos inquiétudes,

oublions le reste de nos questions, et posons-nous celle-ci: «Comment puis-je les

aider?»


Mosharraf Zaidi


Traduit par Jean-Clément Nau


Photo: Un garçon victime des inondations attend une distribution de nourriture Tim Wimborne / Reuters



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