jeudi 26 août 2010

Taxe bancaire: les Allemands tirent les premiers

Taxe bancaire: les Allemands tirent les premiers: "

Quoi

de plus efficace que de brûler les banquiers si l'on veut quelques jours plus

tard faire passer la pilule d'un plan de rigueur à son opinion publique? Qui

plus est si cela permet, en tirant les premiers, d'imposer des règles du jeu à

ses partenaires européens. Tel est le scénario retenu par Angela Merkel.


Reprenant

le modèle de sa décision unilatérale d'interdire les ventes à découvert sur les

marchés il y a quelques mois, la chancelière allemande a choisi une nouvelle

fois de prendre les devants. Son ministre des Finances, Wolfgang

Schaüble
, a présenté, une semaine avant son budget de

rigueur, un projet de loi destiné à taxer les bénéfices des banques qui a été adopté

mercredi 25 août
par le gouvernement.


Un plan doublement vertueux


Sur

le papier, le plan retenu par l'Allemagne est un modèle de rigueur. Berlin

choisit de prélever une taxe sur ses banques pour alimenter un fonds spécifique

de sauvetage pour parer aux futures crises et non pour boucler les fins de mois

de l'Etat. L'esprit de cette taxe bancaire, dans sa présentation, est bien

différent de celui envisagé par Londres et Paris, qui ne cachent pas leur

volonté d'utiliser cet argent pour boucher les trous dans les caisses de

l'Etat. Les finances publiques allemandes se portent il est vrai bien mieux que

leurs homologues françaises et britanniques.


La

dîme prélevée sur les banques allemandes (jusqu'à plus de 15% du bénéfice net

d'un établissement) sera destinée à les protéger contre les conséquences de

leurs propres turpitudes. Le contribuable sera désormais épargné d'avoir à

venir au secours des financiers.


Le

système allemand est doublement vertueux puisqu'il récompense aussi les bons

élèves. Le mode de calcul de la taxe repose sur le total des engagements de

chaque banque et de ses positions sur les produits dérivés. Plus une banque

dispose d'un capital important par rapport à ses engagements, moins elle fait

courir de risque au système, moins elle est taxée. Les opposants à ce système

font valoir qu'il reviendra à pousser les banques allemandes les plus fragiles,

dotées d'un nouveau parachute, à tenter le tout pour le tout et à se lancer

dans de nouvelles dérives. Autre écueil, les montants récupérés à travers la

taxe risquent d'être insuffisants pour faire face à une nouvelle crise de

grande ampleur. On en reviendra alors, une fois de plus, à la collectivité.


Berlin

évalue à 1,2 milliard d'euros par an le produit de cette taxe. Cet argent sera

géré par un fonds qui permettra à l'Etat, en cas de besoin, de venir au secours

d'une banque en difficulté. Si cela ne suffit pas, l'Etat fédéral pourrait

aller jusqu'à prêter 20 milliards d'euros au fonds de restructuration,

remboursable par les banques, et lui apporter jusqu'à 100 milliards d'euros de

garanties. Enfin, le projet prévoit la possibilité pour l'Etat, en cas de crise

majeure, de prendre le contrôle d'une banque en faillite et d'organiser son

démantèlement. Au regard de la centaine de milliards d'euros que Berlin a

déjà dû mobiliser pour régler la crise des trois dernières années, on ne voit

pas comment le contribuable allemand éviterait d'être sollicité dans

l'hypothèse d'un nouvel effondrement financier.


L'opportunisme franco-britannique


Faut-il

alors penser que la solution préconisée à Londres et Paris, consistant plutôt à

se servir de l'argent de la taxe pour assainir les finances publiques, est plus

défendable? Non. Pourtant, Paris et Londres ne manquent pas d'arguments pour se

justifier. La crise financière de 2008 a démontré que lorsque les choses

tournent vraiment mal, c'est l'Etat qui est appelé à la rescousse. Il n'est pas

illégitime que la taxe lui revienne. Mais cette solution semble plutôt

correspondre à une pure opportunité. Le plan français ou britannique ne vise

même pas à mettre en place un système d'auto-contrôle et d'auto-assurance pour

tenter d'éviter une nouvelle défaillance bancaire collective. Sur le fond, les

banquiers français et britanniques n'ont pas totalement tort lorsqu'ils

expliquent qu'ils risquent d'être condamnés à remplir pendant des années les

caisses percées d'un Etat impécunieux incapable de gérer son budget.


Illustration:

les 1,15 milliard de livres que le gouvernement Cameron prévoit de prélever en

2011 sur les bénéfices des banques britanniques, puis 2, 4 milliards par la

suite, ne sont pas des ressources à négliger au moment où le Premier ministre

britannique prédit du sang et des larmes à son peuple. A Paris, Christine

Lagarde est apparemment mois ambitieuse, évoquant une fourchette de 300

millions à un milliard d'euros qui sera affinée au moment de la présentation du

budget et du vote final sur le dossier des retraites. L'arbitrage en France sera

évidemment politique et permettra de mesurer avec précision le poids dans

l'Hexagone du lobby bancaire.


Merkel, championne de la vertu financière


Berlin

donne une nouvelle fois l'exemple, mais aura beaucoup de mal à convaincre les

autres Etats européens de suivre sa voie. Pour autant, le calcul de la

chancelière est également cynique. Le système de fonds spécifique n'est pas à

la hauteur d'une crise de grande ampleur touchant les grands établissements.

Mais le problème de l'Allemagne, ce sont surtout les banques locales trop

petites trop nombreuses qui prennent trop de risques pour survivre. Si l'une ou

plusieurs d'entres elles se trouvaient en difficulté, le fonds serait à même

d'intervenir efficacement. Angela Merkel cultive ainsi son image de championne

de la vertu financière en Europe et ménage l'avenir.


De

fait, Berlin, Paris et Londres cherchent à gérer de la manière la moins

pénalisante possible ce paradoxe consistant, d'un côté, à s'affirmer comme les

champions de la croisade contre les turpitudes bancaires, et de l'autre coté à

affaiblir le moins possible la compétitivité de leurs banques, qui sont le

principal socle du financement de l'économie.


Au

passage, en imposant opportunément de nouvelles taxes aux banques, chaque

gouvernement peut estimer pouvoir faire passer d'autant moins difficilement ses

mesures de rigueur au pays. Reste à savoir, si en bout de course, ce ne seront

pas toujours les mêmes qui auront la note à payer. Au nom de la défense du

contribuable, ne risque-t-on pas surtout de charger les clients sur lesquels

les banques seront tentées de «se refaire».


Philippe Reclus


Photo: Angela Merkel devant la chancellerie à Berlin. REUTERS/Thomas Peter


"

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire