dimanche 24 octobre 2010

Garde à vue: vous avez désormais le droit de garder le silence

Garde à vue: vous avez désormais le droit de garder le silence: "

La garde à vue «à la française» vit ses dernières heures.

Après le Conseil

constitutionnel
le 30 juillet 2010, puis la Cour

européenne des droits de l'homme
le 14 octobre, la Cour de cassation a

porté l'estocade à la garde à vue franco-française le 19 octobre en la

déclarant non conforme au droit européen.


Les modifications imposées par les trois

arrêts
de la haute juridiction concernent principalement la possibilité

pour la personne interpellée de conserver le silence, et surtout d'être

assistée par un avocat dans tous les cas, y compris ceux jusqu'à présent soumis

à des règles «dérogatoires» - affaires de stupéfiants, de terrorisme et de

criminalité organisée. «Toute personne soupçonnée d'avoir commis une

infraction doit, dès le début de la garde à vue, être informée de son droit de

se taire et bénéficier, sauf renonciation non équivoque, de l'assistance d'un

avocat
», stipule la Cour de cassation qui ne tolère des exceptions qu'en cas

de «raisons impérieuses» ne découlant pas de la «seule nature du

crime ou du délit reproché
».


L'ambigüité n'est plus de mise, d'autant que le rôle de l'avocat durant

les interrogatoires est entendu comme pouvant lui permettre «de préparer et

d'organiser la défense
». Pas question donc d'un avocat potiche et muet. La

Cour de cassation, comme le Conseil constitutionnel, ont donné

exceptionnellement à la France jusqu'au 1er juillet 2011 pour se mettre en

conformité dans ses textes avec ces nouvelles règles.


La fin de l'investigation?


En renforçant ainsi les droits de la défense, quitte à transformer le

système inquisitoire français en un système accusatoire, en tout cas

contradictoire, les Sages obligent la Chancellerie à revoir profondément son projet de

réforme de la garde à vue
, présenté devant le conseil des ministres le 13

octobre. Le texte ne prévoit pas en effet en tant que tel le droit au silence

du gardé à vue, ni la présence active de l'avocat — aujourd'hui, celui-ci

peut s'entretenir seulement une demi-heure lors de la première heure de garde à

vue avec son client, sans avoir accès au dossier. Encore

moins la modification des cas «dérogatoires» — le système actuel

permettant de retarder la présence de l'avocat à la 48e ou 72e heure de garde à

vue.


Le gouvernement a eu beau jeu de feindre la sérénité - « la

Cour de cassation conforte totalement le nouveau dispositif (…) présenté en

conseil des ministres
», a aussitôt réagi

la ministre de la Justice, Michèle Alliot-Marie – c'est bien une petite

révolution qui se prépare dans les commissariats, au regard des réactions

policières après l'arrêt de la Cour de cassation. Le syndicat policier

Synergie-Officiers s'est dit «stupéfait» et «écœuré» par cette

décision qui donne raison selon lui au «lobby des avocats», et prédit

carrément «la mort de l'investigation», «l'effondrement du taux

d'élucidation
» et «l'explosion programmée de la délinquance».


Ouf, n'en jetez plus! Un réquisitoire

sans doute excessif qui rappelle celui livré par les forces de l'ordre dans des

termes similaires en 2000 lors du renforcement de la présomption d'innocence

dans le code de procédure pénale, et qui oublie que plusieurs pays européens

(Espagne, Allemagne, Italie...) acceptent la présence de l'avocat depuis

plusieurs années sans que le travail policier en soit rendu impossible pour autant.


Une pratique trop banale


Avec quelque 790.000 gardes à vue décidées en France en

2009, dont plus de 170.000 pour de simples délits routiers, cette pratique,

d'exceptionnelle selon la loi, s'est totalement banalisée au cours des

dernières années. Censée être l'aboutissement d'une enquête, elle est trop

souvent considérée comme son commencement et un moyen de pression sur la

personne interpellée ou soupçonnée, ainsi qu'une des composantes de la «politique

du chiffre» insufflée par les autorités politiques.


La modifier dans le sens de la Cour de cassation devrait

mathématiquement en faire baisser le nombre global. Par ailleurs, la présence

d'un avocat devrait éradiquer une bonne fois pour toute certaines méthodes

policières – sans doute rares, mais parfois dénoncées par des gardés à vue –

comme le chantage à l'incarcération, celui à la famille (arrestation de ses

proches, placement de ses enfants...), ou les interrogatoires pendant plusieurs

heures d'affilée avant les mêmes questions posées par différents agents. Autant

de dérives inhérentes à la «culture de l'aveu» encore trop forte en France.


La haute police ne devrait pas connaître de grands

bouleversements. Les polices criminelle, anti-terroriste ou financière,

disposent de moyens financiers et humains importants, avec des enquêtes à long

terme menées par des officiers de police judiciaire qualifiés et motivés, et

des techniques d'investigation pointues (écoutes, filatures...).


Dans ce type

d'affaires, la garde à vue intervient souvent une fois le dossier pratiquement

ficelé, et les réponses ou le silence du gardé à vue n'ont finalement guère

d'importance. En revanche, la situation est totalement différente pour la

délinquance de droit commun et la sécurité publique. Soit la petite délinquance

qui, en dehors de la flagrance, comprend nettement moins d'enquête en amont.


Et le budget?


Une différence bien comprise par le Syndicat des

commissaires de la police nationale (SCPN) qui s'inquiète d'une surcharge de

travail considérable pour les équipes. Sylvie Feucher, secrétaire général du

SCPN craint que « l'on transfère une partie du travail des magistrats

sur les policiers
» :


«Un commissariat banal traite en moyenne une

quinzaine de gardes à vue par jour pour des affaires relevant de la sécurité

publique. Si à chaque fois, il va falloir par exemple contacter un avocat pour

chaque personne interpellée, cela va provoquer une désorganisation totale des

services et une paperasserie inimaginable
».



Une inquiétude partagée par le syndicat Unité SGP-Police

FO qui a d'ores et déjà réclamé

des « moyens

nécessaires (aménagement des locaux d’audition, moyens techniques, augmentation

du nombre d’officiers de police judiciaire) afin de permettre l’exercice du

métier d’investigation, et de mieux respecter les conditions de dignité humaine

tant du gardé à vue que des fonctionnaires de police
».


Plus de

fonctionnaires de police, plus de salles d'audition, plus de chaises pour

recevoir les avocats, un service de greffe efficace... autant de dépenses

supplémentaires qui feraient exploser les budgets et

qui expliquent sans doute pourquoi les demandes réitérées d'enregistrer tous

les interrogatoires, restent lettre morte depuis plusieurs années.


L'«audition

libre», prochain combat


Un

futur dispositif pourrait balayer ces questions, au risque de provoquer une

nouvelle fronde des avocats et de certains magistrats. La Chancellerie prévoit

en effet l'instauration du régime de «l'audition libre», inspirée de la

«retenue judiciaire» préconisée par le

rapport Léger sur la réforme pénale
. Procédure alternative à la garde à vue, elle permet

aux enquêteurs de police ou de gendarmerie d'entendre un suspect sans mesure de

contrainte, mais sans avocat, ni de durée maximale prévue.


Prévu pour les

infractions mineures (délits routiers, vols à l'étalage...) et sans peine de

prison encourue, l'«audité libre» pourrait mettre fin à son audition quand il

le voudrait ou s'il préfère, demander à être entendu sous le régime de la garde

à vue et ses droits afférents. «Garde à vue light»,

l'audition libre est critiquée par le Conseil national des barreaux, mais aussi

par le Syndicat de la magistrature (SM) qui y voit «une zone grise avec des

risques d'atteinte aux libertés non encadrés
».


Dans une «contre-circulaire»

transmise le 21 octobre à l'ensemble des magistrats français, le SM invite

d'ailleurs à ne pas attendre le vote de la réforme gouvernementale et ses

nouveautés, et à appliquer immédiatement les nouvelles règles de

la garde à vue. Un coup de pression par lequel le syndicat conseille aux

parquets de renforcer le contrôle judiciaire de la garde à vue en se faisant

aviser «dans l'heure par téléphone» de tout placement en garde à vue, d'en

vérifier la «pertinence», et de se faire «systématiquement présenter

le gardé à vue si une prolongation de la mesure est envisagée
».


Ils doivent

également demander aux policiers de «notifier au gardé à vue son droit de

garder le silence
» et «autoriser la présence de l'avocat aux auditions,

confrontations et reconstitutions
». En cas de

non respect de ces conditions, «tout ou partie» des procédures devront

être annulées. Reste à vérifier si les magistrats vont passer en force et

appliquer dès à présent une loi pas encore votée. Un véritable cas d'école

juridique.


Bastien Bonnefous

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