dimanche 24 octobre 2010

Vivre sans la douleur ?

Vivre sans la douleur ?: "Extrait de l'avant-propos

Pour chacun d'entre nous, l'évocation de la douleur physique fait référence à une expérience connue et familière : nous avons tous pu éprouver un jour ou l'autre, à l'occasion d'une blessure, après une opération ou lors d'une maladie aiguë, cette sensation envahissante et pénible qui vient soudainement rompre le bienveillant silence de notre corps. La confiance que nous accordons à nos sens nous porte naturellement à croire que la douleur endurée dans ce type de situation reflète fidèlement l'état de la zone meurtrie et nous concevons volontiers l'utilité d'un tel signal dans le maintien de notre intégrité physique : intuitivement, la douleur nous apparaît comme un mal nécessaire pour garantir et prolonger notre survie.
Au cours de mes études de médecine, cette vision commune de la sensation douloureuse s'est complétée d'une terminologie et d'une géographie nouvelles. J'ai appris à identifier toutes sortes de douleurs : la constrictive et la pulsatile, la spasmodique et la paroxystique, celle «en coup de poignard» et celle «à dormir debout». J'ai parcouru mentalement les irradiations des douleurs rayonnantes, transfixiantes, «en barre» ou «en ceinture». J'ai imaginé le cheminement des messages douloureux et leurs multiples relais le long des circuits nerveux. Mais la douleur ainsi décrite demeurait sans vie et sans mystère. Dépouillée de sa dimension subjective, elle n'était appréhendée que comme l'indice d'une maladie à découvrir, et au regard de cette priorité absolue du diagnostic, même son soulagement paraissait superflu.
C'est seulement bien des années plus tard, à la fin de mon internat en neurologie, que j'ai pu prendre la mesure de l'écart entre ce savoir théorique désincarné et la réalité vécue par les patients. Au terme d'une période d'apprentissage presque exclusivement consacrée aux aspects techniques de l'exercice médical, je souhaitais m'orienter vers une pratique clinique accordant une plus large place à la dimension humaine de la maladie et en même temps ouverte sur la recherche expérimentale. L'étude de la douleur, qui relève à la fois du domaine de la physiologie sensorielle et de la psychologie des émotions, me paraissait propre à satisfaire ces différentes aspirations, et j'ai donc commencé à travailler dans un service hospitalier destiné à accueillir des patients souffrant de douleurs persistantes, tout en menant parallèlement une activité de recherche, d'abord chez l'animal, puis chez l'homme."

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