L'Institut National d'Etudes Démographiques (INED) a publié le 28 septembre un article laissant entendre que la vaccination antigrippale avait permis de diviser par dix la mortalité liée à cette maladie. L'information, reprise par l'AFP, a fait la une de nombreux médias. Et pourtant, cette affirmation est bien fragile si l'on se donne la peine de regarder les données d'un peu plus près.
France Meslé est signataire d'un article au titre prudent Recul spectaculaire de la mortalité due à la grippe : le rôle de la vaccination (Résumé et pdf gratuit). J'ai pris connaissance de cet article par un email provenant du service de communication de l'INED. J'ai interrogé l'auteure de cet email qui m'a informé qu'elle avait été missionnée pour rechercher sur internet les sites et supports susceptibles de relayer l'information.
Je n'avais pas compris initialement que cette publication habituellement confidentielle aurait un tel écho dans les médias. L'information, reprise par l'AFP, a fait le tour des rédactions avec un message beaucoup plus réducteur et très contestable 'La vaccination a permis de diminuer par 10 la mortalité de la grippe'.
Voyons pourquoi cette information est contestable.
La lecture des courbes de mortalité
France Meslé se fonde sur l'observation des courbes historiques : elle trouve une concordance de temps entre le développement de la vaccination antigrippale dans les années 70 et la diminution de la mortalité liée à la grippe dans plusieurs pays occidentaux.
Les épidémiologistes s'attendront que l'article contiennent d'autres arguments plus forts qui justifient la conclusion de l'article de France Meslé :
'La mise au point d'un vaccin efficace, constamment remanié en fonction des mutations du virus, a permis de diviser la mortalité par dix en France comme dans les autres pays industriels en 40 ans. Ce succès a été renforcé par la diffusion gratuite du vaccin auprès des personnes âgées, particulièrement sujettes aux complications létales.'
Il n'en est rien. C'est sur le seul argument de concomitance historique que l'article de l'INED, fort opportunément diffusé la semaine de la sortie du nouveau vaccin saisonnier, affirme le rôle salvateur de la vaccination antigrippale.
Je pourrais m'arrêter là et m'étonner que l'INED, institution respectée, revienne à des procédés obsolètes et contestables. Le biais qui consiste à attribuer imprudemment un lien de causalité à une relation temporelle fait partie des pièges enseignés aux statisticiens débutants.
Mais l'étude approfondie des données révèle des surprises de taille.
Mortalité directe, indirecte et surmortalité Pour être précis, il faut aborder les notions de mortalité directe et indirecte présentes dans l'article. La mortalité directe est celle qui est due au seul virus, sans surinfection bactérienne. Le décès est provoquée par une pneumonie gravissime insensible aux antibiotiques. On parle parfois de grippe maligne. La mortalité indirecte est celle qui est due aux complications de la grippe, mais non à la grippe elle-même. La plus fréquente est la pneumonie bactérienne, qui complique plus d'une grippe sur cent, mais qui se soigne avec des antibiotiques efficaces dans la grande majorité des cas. Le problème est qu'il est très difficile, y compris en 2010, de faire la part entre la mortalité directe et la mortalité indirecte. Les statistiques générales englobent donc les deux types de mortalité, même si quelques relevés récents tentent de faire la part des choses. Pour les données historiques anciennes, c'est tout simplement impossible. Nous considérerons donc que la mortalité citée et utilisée pour construire les graphiques est la mortalité globale. Ces chiffres officiels sont utilisés au plan international, notamment par l'Organisation Mondiale de la Santé. Les chiffres français sont très difficiles d'accès. Faites-en l'expérience avec votre moteur de recherche habituel... Il existe un autre type d'expression de la mortalité liée à la grippe : la mortalité estimée dite aussi 'surmortalité due à la grippe'. Les partisans de cette estimation (note OMS) considèrent que les certificats de décès rédigés par les médecins sous-estiment le nombre réel de décès dus à la grippe. Ils comparent les courbes de mortalité générale d'une année à l'autre et considèrent que la grippe est responsable de la surmortalité observée en période d'épidémie. C'est une approche audacieuse. Pourtant, le décompte de la mortalité par l'analyse des certificats de décès 'ratisse' large : il suffit que les mots grippal ou grippe soient présents sur le certificat pour que le décès soit attribué à la grippe. On sait pourtant que de nombreux virus non grippaux peuvent provoquer un syndrome grippal. De ce fait, la méthode de relevé des décès à partir des certificats risque plutôt d'augmenter et non de diminuer le nombre de morts attribués à la grippe. |
Toujours est-il qu'en France, depuis plusieurs années, c'est la surmortalité estimée à partir des courbes qui est mise en avant par les autorités sanitaires, soit, en fonction des années, 4 à 7000 morts par an. Au début de chaque campagne vaccinale, la presse reprend cette information alarmiste et incite à la vaccination, soutenue dans cet effort d'information par les industriels du vaccin.
Pour la pandémie grippale A/H1N1 2009/2010, un véritable décompte des décès a eu lieu. Nous avons découvert avec surprise que la mortalité réelle dépassait péniblement 300 cas. Et encore, nous n'avons pas la preuve de la responsabilité de la grippe pour de nombreux morts. Tout décès d'un sujet jeune présentant une maladie ressemblant à la grippe a été comptabilisé.
Venons-en aux données exposées par France Meslé et notamment le graphique français des décès :
L'auteure y voit un signe franc de l'impact de la vaccination débutée timidement en 1970 puis proposée gratuitement après 75 ans à partir de 1985.
D'autres pays sont pris en exemple et notamment les USA et l'Italie
Si l'on fait abstraction du pic de la pandémie Hong Kong 69/70, il est pourtant aisé de constater que la diminution de la mortalité grippale est régulière depuis 1950. Cette date n'est pas anodine : elle correspond au début de l'utilisation de la pénicilline pour traiter les maladies infectieuses. En 1960, l'ampicilline (Totapen en France) permet enfin l'utilisation simplifiée par voir orale d'un antibiotique efficace sur les principaux germes responsables des pneumonies.
Dans la mesure où la pneumonie bactérienne est la principale complication grave de la grippe, il n'est pas étonnant de constater une diminution drastique de la mortalité grippale à partir des années 50/60. L'hypothèse du rôle de la pénicilline dans la chute de la mortalité grippale paraît tout aussi plausible qu'un effet du vaccin.
Le fait que la mortalité ait commencé à diminuer nettement 20 ans avant la vaccination, notamment aux USA, est éludé par une phrase dans l'article de l'INED : 'Aux États-Unis, où le vaccin a sans doute été diffusé plus précocement, la réduction de la mortalité a été très régulière depuis 1950'. Je n'ai trouvé aucune trace d'une diffusion précoce et significative du vaccin dans les années 50 aux USA. Comme le signale d'ailleurs France Meslé, le vaccin a été surtout utilisé chez les militaires avant 1970, notamment du fait de ses fréquents effets indésirables qui ne le rendait pas populaire dans la population générale.
Ignorer le facteur confondant majeur que représente la pénicilline est pour le moins surprenant dans une publication à vocation scientifique.
Mais un autre aspect est tout à fait passionnant : les taux de mortalité qui ont permis de construire la courbe française. Ils m'ont été aimablement communiqués par France Meslé et je les ai convertis en mortalité absolue (taux/100 000 X 60 millions) :
Année | Mortalité |
1980 | 1300 |
1981 | 3600 |
1982 | 780 |
1983 | 2800 |
1984 | 720 |
1985 | 180 |
1986 | 2500 |
1987 | 600 |
1988 | 600 |
1989 | 1500 |
1990 | 2500 |
1991 | 480 |
1992 | 600 |
1993 | 1200 |
1994 | 360 |
1995 | 700 |
1996 | 1100 |
1997 | 1000 |
1998 | 2000 |
1999 | 1600 |
2000 | 1700 |
2001 | 180 |
2002 | 600 |
2003 | 480 |
2004 | 200 |
2005 | 1000 |
2006 | 120 |
2007 | 240 |
Quelle surprise... La mortalité de la grippe saisonnière, comme la mortalité de la grippe pandémique, se compte en centaines et non en milliers.
Lorsqu'il s'agit de promouvoir le vaccin en insistant sur la mortalité de la grippe, celle-ci provoque plus de 7000 décès par an.
Lorsqu'il s'agit de promouvoir le vaccin en mettant en avant son effet sur la mortalité, celle-ci tombe à quelques centaines de décès par an.
En fait, suivant que l'on utilise la mortalité estimée ou la mortalité constatée, on obtient facilement la division par 10 de la mortalité attribuée au vaccin. L'article n'indique pas précisément comment la mortalité historique a été mesurée, mais il est à craindre que le mélange de mortalité estimée pour les années anciennes et constatée pour les années récentes ne vienne fausser la lecture des graphiques de France Meslé.
Cette confusion est représentative de l'attitude des autorités sanitaires face à la grippe : la réalité est fabriquée pour être au service de la stratégie vaccinale, alors qu'il conviendrait plutôt de concevoir la stratégie à partir de la réalité, ce qui nous ramène à la gestion de la pandémie 2009/2010 et aux rapports parlementaires qui l'ont stigmatisée.
Je vous propose un dernier graphique, il émane du réseau Grog et montre la relation entre le taux de vaccination des personnes âgées et la mortalité. Comme vous pourrez le constater, il reprend lui aussi les chiffres de mortalité réelle, de l'ordre de quelques centaines par an pour les années récentes.
Attention, contrairement aux graphiques de l'INED, l'échelle n'est pas logarithmique
Comme vous pouvez le constater, la diminution de la mortalité est déjà considérable en 1982, alors que la vaccination ne touchait que 40% des sujets âgés et n'était qu'anecdotique dans le reste de la population. A supposer que le vaccin soit efficace à 50%, la baisse de mortalité aurait dû être de 20% puisque cette tranche d'âge concentre l'essentiel des décès. Or, la diminution est déjà de 90% par rapport aux années 40. A cette époque, la vaccination des soignants, vecteurs de la maladie en institution, n'était pas suffisamment répandue pour avoir un rôle significatif sur la mortalité des personnes âgées.
Il est donc improbable, voire impossible, que la vaccination suffise à expliquer la diminution importante de la mortalité depuis 50 ans. Les progrès des antibiotiques et de la réanimation, mais aussi un accès plus facile à la santé (assurance maladie) sont sans doute les principaux artisans de ce progrès. L'apport de la vaccination sur la mortalité, modeste mais réel chez les personnes âgées en institution, doit encore faire ses preuves dans la population générale.
En pratique, l'étude historique des courbes de mortalité grippale ne soutient pas l'hypothèse d'une forte efficacité vaccinale. Cette forte efficacité serait d'ailleurs en contradiction avec des revues de littérature qui n'attribuent au mieux au vaccin saisonnier qu'un effet modeste, à supposer qu'il existe, sur la mortalité grippale.
Voici quelques extraits de l'impact de l'article de l'INED dans la presse. Nous sommes le 29 septembre 2010, soit une semaine après le lancement du vaccin saisonnier. Je suis trop vieux pour croire aux coïncidences. Ces journalistes qui se réjouissent avec l'INED de la baisse de la mortalité à 500 morts par an sont les mêmes qui nous annonçaient tous les ans 7000 morts lors de la commercialisation du vaccin. Ils semblent ne pas avoir retenu la leçon des errances de la communication officielle sur la pandémie grippale.
L'AFP parle imprudemment d'une 'étude' de l'INED, accréditant l'idée de nouvelles données alors qu'il ne s'agit que d'une nouvelle lecture, très contestable, de données connues et d'ailleurs mal documentées. Le lien de cause a effet entre la vaccination et la baisse de mortalité, fortement suggéré par France Meslé, ne repose sur rien de solide.
J'ajoute que mon but n'est pas de contester tout intérêt à la vaccination antigrippale. Je souhaite simplement pouvoir disposer d'une information sincère et objective pour aider mes patients à faire le meilleur choix pour eux ou pour leurs proches. Malheureusement, ce type de publication ne sert pas la santé publique.
Remerciements : Xavier Tarpin qui m'a inspiré le titre, Olivier Rozand et Jean-Claude Grange.
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