La garde à vue «à la française» vit ses dernières heures.
Après le Conseil
constitutionnel le 30 juillet 2010, puis la Cour
européenne des droits de l'homme le 14 octobre, la Cour de cassation a
porté l'estocade à la garde à vue franco-française le 19 octobre en la
déclarant non conforme au droit européen.
Les modifications imposées par les trois
arrêts de la haute juridiction concernent principalement la possibilité
pour la personne interpellée de conserver le silence, et surtout d'être
assistée par un avocat dans tous les cas, y compris ceux jusqu'à présent soumis
à des règles «dérogatoires» - affaires de stupéfiants, de terrorisme et de
criminalité organisée. «Toute personne soupçonnée d'avoir commis une
infraction doit, dès le début de la garde à vue, être informée de son droit de
se taire et bénéficier, sauf renonciation non équivoque, de l'assistance d'un
avocat», stipule la Cour de cassation qui ne tolère des exceptions qu'en cas
de «raisons impérieuses» ne découlant pas de la «seule nature du
crime ou du délit reproché».
L'ambigüité n'est plus de mise, d'autant que le rôle de l'avocat durant
les interrogatoires est entendu comme pouvant lui permettre «de préparer et
d'organiser la défense». Pas question donc d'un avocat potiche et muet. La
Cour de cassation, comme le Conseil constitutionnel, ont donné
exceptionnellement à la France jusqu'au 1er juillet 2011 pour se mettre en
conformité dans ses textes avec ces nouvelles règles.
La fin de l'investigation?
En renforçant ainsi les droits de la défense, quitte à transformer le
système inquisitoire français en un système accusatoire, en tout cas
contradictoire, les Sages obligent la Chancellerie à revoir profondément son projet de
réforme de la garde à vue, présenté devant le conseil des ministres le 13
octobre. Le texte ne prévoit pas en effet en tant que tel le droit au silence
du gardé à vue, ni la présence active de l'avocat — aujourd'hui, celui-ci
peut s'entretenir seulement une demi-heure lors de la première heure de garde à
vue avec son client, sans avoir accès au dossier. Encore
moins la modification des cas «dérogatoires» — le système actuel
permettant de retarder la présence de l'avocat à la 48e ou 72e heure de garde à
vue.
Le gouvernement a eu beau jeu de feindre la sérénité - « la
Cour de cassation conforte totalement le nouveau dispositif (…) présenté en
conseil des ministres », a aussitôt réagi
la ministre de la Justice, Michèle Alliot-Marie – c'est bien une petite
révolution qui se prépare dans les commissariats, au regard des réactions
policières après l'arrêt de la Cour de cassation. Le syndicat policier
Synergie-Officiers s'est dit «stupéfait» et «écœuré» par cette
décision qui donne raison selon lui au «lobby des avocats», et prédit
carrément «la mort de l'investigation», «l'effondrement du taux
d'élucidation» et «l'explosion programmée de la délinquance».
Ouf, n'en jetez plus! Un réquisitoire
sans doute excessif qui rappelle celui livré par les forces de l'ordre dans des
termes similaires en 2000 lors du renforcement de la présomption d'innocence
dans le code de procédure pénale, et qui oublie que plusieurs pays européens
(Espagne, Allemagne, Italie...) acceptent la présence de l'avocat depuis
plusieurs années sans que le travail policier en soit rendu impossible pour autant.
Une pratique trop banale
Avec quelque 790.000 gardes à vue décidées en France en
2009, dont plus de 170.000 pour de simples délits routiers, cette pratique,
d'exceptionnelle selon la loi, s'est totalement banalisée au cours des
dernières années. Censée être l'aboutissement d'une enquête, elle est trop
souvent considérée comme son commencement et un moyen de pression sur la
personne interpellée ou soupçonnée, ainsi qu'une des composantes de la «politique
du chiffre» insufflée par les autorités politiques.
La modifier dans le sens de la Cour de cassation devrait
mathématiquement en faire baisser le nombre global. Par ailleurs, la présence
d'un avocat devrait éradiquer une bonne fois pour toute certaines méthodes
policières – sans doute rares, mais parfois dénoncées par des gardés à vue –
comme le chantage à l'incarcération, celui à la famille (arrestation de ses
proches, placement de ses enfants...), ou les interrogatoires pendant plusieurs
heures d'affilée avant les mêmes questions posées par différents agents. Autant
de dérives inhérentes à la «culture de l'aveu» encore trop forte en France.
La haute police ne devrait pas connaître de grands
bouleversements. Les polices criminelle, anti-terroriste ou financière,
disposent de moyens financiers et humains importants, avec des enquêtes à long
terme menées par des officiers de police judiciaire qualifiés et motivés, et
des techniques d'investigation pointues (écoutes, filatures...).
Dans ce type
d'affaires, la garde à vue intervient souvent une fois le dossier pratiquement
ficelé, et les réponses ou le silence du gardé à vue n'ont finalement guère
d'importance. En revanche, la situation est totalement différente pour la
délinquance de droit commun et la sécurité publique. Soit la petite délinquance
qui, en dehors de la flagrance, comprend nettement moins d'enquête en amont.
Et le budget?
Une différence bien comprise par le Syndicat des
commissaires de la police nationale (SCPN) qui s'inquiète d'une surcharge de
travail considérable pour les équipes. Sylvie Feucher, secrétaire général du
SCPN craint que « l'on transfère une partie du travail des magistrats
sur les policiers» :
«Un commissariat banal traite en moyenne une
quinzaine de gardes à vue par jour pour des affaires relevant de la sécurité
publique. Si à chaque fois, il va falloir par exemple contacter un avocat pour
chaque personne interpellée, cela va provoquer une désorganisation totale des
services et une paperasserie inimaginable».
Une inquiétude partagée par le syndicat Unité SGP-Police
FO qui a d'ores et déjà réclamé
des « moyens
nécessaires (aménagement des locaux d’audition, moyens techniques, augmentation
du nombre d’officiers de police judiciaire) afin de permettre l’exercice du
métier d’investigation, et de mieux respecter les conditions de dignité humaine
tant du gardé à vue que des fonctionnaires de police ».
Plus de
fonctionnaires de police, plus de salles d'audition, plus de chaises pour
recevoir les avocats, un service de greffe efficace... autant de dépenses
supplémentaires qui feraient exploser les budgets et
qui expliquent sans doute pourquoi les demandes réitérées d'enregistrer tous
les interrogatoires, restent lettre morte depuis plusieurs années.
L'«audition
libre», prochain combat
Un
futur dispositif pourrait balayer ces questions, au risque de provoquer une
nouvelle fronde des avocats et de certains magistrats. La Chancellerie prévoit
en effet l'instauration du régime de «l'audition libre», inspirée de la
«retenue judiciaire» préconisée par le
rapport Léger sur la réforme pénale. Procédure alternative à la garde à vue, elle permet
aux enquêteurs de police ou de gendarmerie d'entendre un suspect sans mesure de
contrainte, mais sans avocat, ni de durée maximale prévue.
Prévu pour les
infractions mineures (délits routiers, vols à l'étalage...) et sans peine de
prison encourue, l'«audité libre» pourrait mettre fin à son audition quand il
le voudrait ou s'il préfère, demander à être entendu sous le régime de la garde
à vue et ses droits afférents. «Garde à vue light»,
l'audition libre est critiquée par le Conseil national des barreaux, mais aussi
par le Syndicat de la magistrature (SM) qui y voit «une zone grise avec des
risques d'atteinte aux libertés non encadrés».
Dans une «contre-circulaire»
transmise le 21 octobre à l'ensemble des magistrats français, le SM invite
d'ailleurs à ne pas attendre le vote de la réforme gouvernementale et ses
nouveautés, et à appliquer immédiatement les nouvelles règles de
la garde à vue. Un coup de pression par lequel le syndicat conseille aux
parquets de renforcer le contrôle judiciaire de la garde à vue en se faisant
aviser «dans l'heure par téléphone» de tout placement en garde à vue, d'en
vérifier la «pertinence», et de se faire «systématiquement présenter
le gardé à vue si une prolongation de la mesure est envisagée».
Ils doivent
également demander aux policiers de «notifier au gardé à vue son droit de
garder le silence» et «autoriser la présence de l'avocat aux auditions,
confrontations et reconstitutions». En cas de
non respect de ces conditions, «tout ou partie» des procédures devront
être annulées. Reste à vérifier si les magistrats vont passer en force et
appliquer dès à présent une loi pas encore votée. Un véritable cas d'école
juridique.
Bastien Bonnefous
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