«J’ai travaillé comme un nègre, je ne sais pas si les nègres
ont toujours tellement travaillé, mais enfin…» Tels sont les propos qu’a tenus
le 15 octobre sur le plateau du 13 heures de France 2, Jean-Paul Guerlain.
Jean-Paul Guerlain : ses propos racistes sur France 2
envoyé par ParlonsTV. - L'actualité du moment en vidéo.
Malgré les réactions, notamment sur l’Internet, il s’est
trouvé peu de responsables politiques de premier plan pour dénoncer ces propos.
Pour que la polémique enfle, il a fallu que s’en empare la journaliste Audrey
Pulvar en consacrant à cette «réflexion» une chronique sur France Inter :
«On a bien attendu pendant tout le week-end, dans la bouche
de tous les responsables politiques un début de condamnation, d’émoi,
d’indignation. Seule Christine Lagarde a réagi. Pour les autres, on attend
encore. En France, on peut donc prononcer des paroles racistes à une heure de
grande écoute, sur un média national sans qu’aucune grande voix, politique,
intellectuelle ou artistique ne s’en émeuve. Oh, les associations font leur
job, qui menacent de porter plainte. Mais qui parle de racaille? De
scandale? De honte? D’obscénité ? De crachat?»
En effet, il semble bien que dans ce pays, on puisse presque
tout dire à propos de ceux que monsieur Guerlain appelle «les nègres». Qu’ils
sont trop nombreux en équipe de France de football. Qu’ils organisent des
émeutes en banlieue. Qu’ils fomentent des mutineries dans l’équipe de Raymond
Domenech. Qu’importe si, par la suite, on découvre que parmi les révoltés,
prenaient rang Ribéry et Toulalan, nègres bien pâles.
Qu’importe, un grand nombre de nos compatriotes auront pu se
défouler à cette occasion. Trop belle pour casser du sucre sur le dos des
«nègres».
La parole raciste libérée
Plus grave, en France, le racisme se banalise. La parole
raciste est libérée. J’ai la chance d’habiter Paris, la capitale de la patrie
des Droits de l’homme. Combien de fois n’ai-je sursauté en entendant l’un de
mes voisins racistes hurlant dès qu’il apercevait un noir dans la rue. Après
l’élection de Nicolas Sarkozy, l’un des voisins pensait qu’il était en droit d’ordonner
à tous les «nègres de rentrer chez eux». Même les enfants noirs fréquentant ma
rue se faisaient traiter de «race maudite» sans que cela ne choque outre
mesure.
Combien de fois n’ai-je vu des «noirs» en pleurs parce
qu’ils s’étaient vu refuser un appartement ou un emploi du simple fait de leur
couleur de peau. Combien d’entre eux osent porter plainte? Pour eux aussi, le
racisme est une banalité. Beaucoup en viennent à le considérer comme une
fatalité.
Vous allez me dire que j’exagère. Longtemps j’ai pensé qu’il
n’existait pas de réel problème de racisme en France. Quand on est blanc, la
plupart du temps, on ne se rend compte de rien. Sans aller jusqu’à faire
l’expérience de changer de couleur de peau –comme le journaliste américain
Griffin, auteur de Dans la peau d’un noir–, nous devrions tous au moins une fois
dans notre vie accompagner des noirs dans certains lieux de pouvoir. Nous
rendre par exemple dans un consulat ou une préfecture.
Désolé, mais l’accueil n’est pas du tout le même selon votre
couleur de peau. La loi «change» selon votre pigmentation. Enfin, elle n’est
pas appliquée de la même façon. Bien des hauts fonctionnaires le reconnaissent
à mots couverts.
Scènes pénibles de racisme policier
Combien de fois n’ai-je assisté à des scènes extrêmement
pénibles? Des policiers qui abreuvaient d’injures racistes des noirs dans le
métro. Un blanc qui n’a pas payé son titre de transport sera juste verbalisé.
Un noir sera bien souvent invité à «rentrer dans son pays». Même si c’est un
Antillais dont la famille possède la nationalité française depuis plusieurs
siècles.
Autre scène de la vie ordinaire, deux policiers s’approchent
d’un air menaçant d’un père de famille blanc et de sa fille métisse
paisiblement assis dans le métro. Après avoir examiné attentivement chacun des
«faciès suspects», le policier lâche un hargneux «cherchez l’erreur». Et oui
désolé, il arrive qu’un père n’ait pas tout à fait la même couleur de peau que
ses enfants. Est-ce un délit? Aux yeux de certains représentants des forces de
l’ordre, cela ne fait aucun doute.
Autre moment pénible de la vie dans la ville lumière. Une
petite fille métisse de 6 ans fait la queue à l’entrée d’un musée avec ses
parents. Une femme la bouscule violemment. Pour expliquer son geste, elle
affirme que: «Ces enfants ne savent pas compter, mais qu’ils savent mémoriser
les numéros des cartes bleues.» La fillette se trouvant à cinq mètres de la
caisse et de la personne qui composait son numéro de carte bleue, on voit mal
comment elle pourrait parvenir à accomplir pareil forfait. Mais les «nègres»
possèdent sans doute des pouvoirs surnaturels.
Que faut-il faire pour apaiser nos «amis» racistes? Interdire
les musées aux enfants noirs? Leur bander les yeux pour éviter qu’ils ne
mémorisent les numéros de carte bleue? Le climat qui règne dans notre pays
devient délétère. Si les enfants sont considérés comme des criminels accomplis
dès le plus jeune âge en raison de leur couleur de peau, notre société est
vraiment malade.
Pourquoi parler des enfants? Tout simplement parce qu’ils
sont une cible de choix pour les racistes ordinaires. Bien souvent nos «amis»
racistes ne sont guère courageux. Ils s’en prennent plus facilement à la
progéniture des noirs. Le «nègre» a la réputation de bien se battre, mieux
vaut éviter de le provoquer. Selon eux, il serait incroyablement paresseux,
sauf sur un ring. Il aurait alors le poing incroyablement leste. Mohamed Ali
n’était-il pas l’un des leurs?
Combattre le racisme
Combien de fois n’ai-je entendu ces derniers mois, les mots
«nègre» ou «négresse» prononcés avec jubilation, délectation par des gens qui
n’étaient pas issus du lumpen-proletariat. Loin s’en faut. Ils étaient
«bien-nés». Combien de fois
n’ai-je entendu ce vilain mot? Le mot «nègre» prononcé par tous ceux qui se
disaient «qu’avant» ce n’était pas permis. Mais que maintenant on peut enfin se
lâcher dans le TGV, en première classe. On a payé cher. Alors n’a-t-on pas le
droit de tout dire? De dire stop à cet odieux «politiquement correct» qui nous
a fait tant de mal?
Ne dites surtout pas aux Français que le racisme gangrène la
société, qu’il gagne du terrain. Beaucoup vous diront que c’est bien pire
ailleurs. Après tout, nous sommes la patrie des Droits de l’homme. Nous n’avons
de leçons à recevoir de personne.
Bien sûr que le racisme existe ailleurs. Mais dans certains
pays, il est combattu avec plus de vigueur. Bien des Africains —même des
francophones— se sentent désormais plus à l’aise en Angleterre. «En France, un
statut social est attaché à votre couleur de peau. Dès que vous êtes noir, on
pense que vous être forcément pauvre et illettré. Une source de problème… A
l’hôpital, on commence d’abord à vous parler en petit nègre amélioré. Même si
vous êtes agrégé de grammaire, cela ne change rien à l’affaire», explique
Solange, une universitaire béninoise.
Un ami sud-africain a été estomaqué lors de sa récente
visite à Paris. «Quand je vais dans des bureaux, les seuls noirs que je croise
sont ceux qui font le ménage et les vigiles. C’est un peu l’apartheid, chez
vous», a-t-il déclaré en plaisantant. Mais au-delà de la boutade, il ressentait
un vrai malaise.
Une Nigériane venue étudier en France m’a elle aussi fait
part de sa déception. Pour elle, la France, c’était avant tout la patrie de
Voltaire. Une terre de liberté pour tous. Même pour les «nègres». Mais elle
était trop candide. Certes la France est la patrie de Voltaire. Mais au cours de
ses études, elle a aussi découvert la part d’ombre du grand penseur. Voltaire
était aussi un homme d’affaires «avisé» n’ayant pas hésité à investir dans la
traite négrière. Et n’a-t-il pas expliqué que le blanc est aussi sûrement
supérieur au nègre que le nègre l’est au singe. Et le singe à l’huître.
On a déjà vu mieux comme marque de progressisme, même s’il
reprenait à son compte des préjugés très répandus à l’époque. Mais il est vrai
que lorsque l’on s’est enrichi sur le «dos des noirs», on apaise sans doute un
peu sa conscience en doutant… En doutant du fait que le «nègre ait une âme» ou
une pensée. On dort sans doute mieux la nuit. Une goutte de parfum de marque
déposée sur l’oreiller et le sommeil promet d’être profond. Bonne nuit les
petits…
Quoi qu’il en soit, patrie des Droits de l’homme ou non, la
France a un sacré travail à accomplir pour combattre le racisme. Il va falloir
qu’elle travaille dur pour en finir avec le «bruit et l’odeur». Monsieur Guerlain
dirait travailler comme un «nègre».
Pierre Malet
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