Le
30 août, le ministre de l’Intérieur a donné les chiffres de la délinquance en
précisant le nombre de délinquants roumains. C’est la première fois
qu’un ministre de l’Intérieur donne ce genre de chiffres. Brice Hortefeux a dit:
les actes de délinquance perpétrés par des Roumains à Paris ont augmenté de
259% en dix-huit mois. Il nous dit «Roumain» parce qu’il n’a pas le droit de
dire «Roms», puisque la France ne reconnaît pas les races et se refuse à faire
des statistiques ethniques. Bref, tant pis pour les détails, tant pis si tous
les Roms ne sont pas Roumains et si tous les Roumains ne sont pas Roms, chacun
comprendra…
Cette
affirmation inattaquable sur le plan juridique n’en est pas moins une hérésie
républicaine dans l’esprit, une atteinte à l’individualisme positif qui est
notre tradition. C’est un début de reconnaissance de responsabilité collective,
bref une manipulation douteuse, vaguement raciste à visées politiciennes
évidentes. Brice Hortefeux n’oserait jamais –et heureusement– convoquer une conférence
de presse pour dire: «La délinquance marocaine ou la délinquance algérienne ou
suisse est de tant de % en France.» Cette première du 30 août est un tabou
brisé. C’est justement ce qui était recherché. Quand, par populisme, on brise
un tabou, on dit généralement que l’on combat le politiquement correct, que
l’on ne se laisse pas avoir par les bien-pensants, la presse parisienne, la
«gauche milliardaire». Cette manœuvre, aussi voyante que le nez au
milieu de la figure d’un certain conseiller «opinion» de l’Elysée est, d’une
certaine façon, le signe d’une extrême nervosité au sommet de l’Etat.
Cette
manœuvre a déjà des effets sur l'opinion. Après un été de surenchère sécuritaire, le baromètre de popularité
du Figaro-Magazine nous dit que le président gagne 4
points de popularité ce mois-ci. Et lorsque l’on regarde dans le
détail, Nicolas Sarkozy gagne des points, effectivement dans l’électorat
populaire –à gauche comme à droite– mais l’écart se creuse entre les tranches
d’âges: il fait un bond de six points chez les retraités et en perd cinq chez
les jeunes. Les électeurs lepénistes bougent moins que la moyenne (+3 points).
Rien ne dit que la satisfaction de l’électeur FN l’incite à voter, le jour venu,
pour Nicolas Sarkozy. Cette tactique peut aussi aboutir à renforcer l’idée
selon laquelle Marine Le Pen a raison. L’un des arguments des stratèges de
Nicolas Sarkozy lorsqu’il multipliait, avant 2007, les déclarations
sécuritaires sans trop de précautions oratoires, était de dire qu’il fallait
bien tenter de réintégrer les électeurs du FN dans le giron des partis
républicains. Au moins de tenter d’endiguer la désespérance grandissante de
l’électorat populaire. Et c’est vrai que la prise en compte des questions de
sécurité et le souci affirmé de maîtriser l’immigration peut (c’est du
funambulisme) s’exprimer sans verser dans la démagogie populiste.
Mais dès
lors qu’au-delà d’utiliser les mots du Front national pour opérer un salutaire
recyclage de ses électeurs, on transige avec les principes républicains, on
n’est plus dans le recyclage mais dans la validation du FN. En ébauchant une
responsabilité collective, en désignant des groupes, en chiffrant leurs
attitudes, Brice Hortefeux franchit une ligne symbolique qui peut rapporter des
points de popularité, mais aussi consolider parallèlement l’ancrage électoral
du Front national et dégoûter définitivement l’électorat modéré. Nicolas
Sarkozy et Brice Hortefeux prennent la responsabilité de faire ce qu’Alain Minc
(meilleur commentateur que conseiller du prince) appelle joliment «un pari
faustien».
Thomas Legrand
Photo: Pierre Lellouche, Brice Hortefeux et Eric Besson, le 30 août 2010. REUTERS/Gonzalo Fuentes
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