jeudi 2 septembre 2010

Brice Hortefeux franchit encore une ligne

Brice Hortefeux franchit encore une ligne: "

Le

30 août, le ministre de l’Intérieur a donné les chiffres de la délinquance en

précisant le nombre de délinquants roumains
. C’est la première fois

qu’un ministre de l’Intérieur donne ce genre de chiffres. Brice Hortefeux a dit:

les actes de délinquance perpétrés par des Roumains à Paris ont augmenté de

259% en dix-huit mois. Il nous dit «Roumain» parce qu’il n’a pas le droit de

dire «Roms», puisque la France ne reconnaît pas les races et se refuse à faire

des statistiques ethniques. Bref, tant pis pour les détails, tant pis si tous

les Roms ne sont pas Roumains et si tous les Roumains ne sont pas Roms, chacun

comprendra…


Cette

affirmation inattaquable sur le plan juridique n’en est pas moins une hérésie

républicaine dans l’esprit, une atteinte à l’individualisme positif qui est

notre tradition. C’est un début de reconnaissance de responsabilité collective,

bref une manipulation douteuse, vaguement raciste à visées politiciennes

évidentes. Brice Hortefeux n’oserait jamais –et heureusement– convoquer une conférence

de presse pour dire: «La délinquance marocaine ou la délinquance algérienne ou

suisse est de tant de % en France.» Cette première du 30 août est un tabou

brisé. C’est justement ce qui était recherché. Quand, par populisme, on brise

un tabou, on dit généralement que l’on combat le politiquement correct, que

l’on ne se laisse pas avoir par les bien-pensants, la presse parisienne, la

«gauche milliardaire»
. Cette manœuvre, aussi voyante que le nez au

milieu de la figure d’un certain conseiller «opinion» de l’Elysée est, d’une

certaine façon, le signe d’une extrême nervosité au sommet de l’Etat.


Cette

manœuvre a déjà des effets sur l'opinion. Après un été de surenchère sécuritaire, le baromètre de popularité

du Figaro-Magazine nous dit que le président gagne 4

points de popularité
ce mois-ci. Et lorsque l’on regarde dans le

détail, Nicolas Sarkozy gagne des points, effectivement dans l’électorat

populaire –à gauche comme à droite– mais l’écart se creuse entre les tranches

d’âges: il fait un bond de six points chez les retraités et en perd cinq chez

les jeunes. Les électeurs lepénistes bougent moins que la moyenne (+3 points).

Rien ne dit que la satisfaction de l’électeur FN l’incite à voter, le jour venu,

pour Nicolas Sarkozy. Cette tactique peut aussi aboutir à renforcer l’idée

selon laquelle Marine Le Pen a raison. L’un des arguments des stratèges de

Nicolas Sarkozy lorsqu’il multipliait, avant 2007, les déclarations

sécuritaires sans trop de précautions oratoires, était de dire qu’il fallait

bien tenter de réintégrer les électeurs du FN dans le giron des partis

républicains. Au moins de tenter d’endiguer la désespérance grandissante de

l’électorat populaire. Et c’est vrai que la prise en compte des questions de

sécurité et le souci affirmé de maîtriser l’immigration peut (c’est du

funambulisme) s’exprimer sans verser dans la démagogie populiste.


Mais dès

lors qu’au-delà d’utiliser les mots du Front national pour opérer un salutaire

recyclage de ses électeurs, on transige avec les principes républicains, on

n’est plus dans le recyclage mais dans la validation du FN. En ébauchant une

responsabilité collective, en désignant des groupes, en chiffrant leurs

attitudes, Brice Hortefeux franchit une ligne symbolique qui peut rapporter des

points de popularité, mais aussi consolider parallèlement l’ancrage électoral

du Front national et dégoûter définitivement l’électorat modéré. Nicolas

Sarkozy et Brice Hortefeux prennent la responsabilité de faire ce qu’Alain Minc

(meilleur commentateur que conseiller du prince) appelle joliment «un pari

faustien»
.


Thomas Legrand


Photo: Pierre Lellouche, Brice Hortefeux et Eric Besson, le 30 août 2010. REUTERS/Gonzalo Fuentes

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