Les
joyaux de la Méditerranée à Saint-Jean-Cap-Ferrat
Déclinaison de légumes des paysans, risotto à
l’encre de seiche, palourdes et parmesan, saint-pierre parfumé au sel de
romarin, copeaux de truffes et artichauts violets, abricot meringué aux
senteurs de basilic… Les préparations de Didier Aniès, Meilleur Ouvrier de
France en 2000, nommé chef du Grand Hôtel de Saint-Jean-Cap-Ferrat au début 2009, fleurent bon la Méditerranée et
les joyaux de la nature de l’arrière-pays niçois.
Ancien chef du Cagnard, sur les hauteurs de
Cagnes-sur-Mer, et de l’Hôtel Mirabeau à Monaco, Aniès, fils d’un modeste
vigneron de Limoux, a décroché une étoile, à peine en poste dans les
somptueuses cuisines de ce palace de légende dont la coupole centrale a été
réalisée par Gustave Eiffel. Le trésor du Grand Hôtel, dressé sur une colline
descendant vers la mer par des sentiers de fleurs et senteurs, c’est la piscine
turquoise à débordements sur la méditerranée et le restaurant les Dauphins. Une
situation d’exception sur la Riviera, du rêve, de la beauté, du confort, et un
personnel abondant: 280 employés pour 73 chambres et suites –un record mondial.
En mai 2006, le Grand Hôtel du Cap Ferrat a été classé pour le service meilleur
hôtel d’Europe et second dans le monde par la revue Traveland and Leisure. Pas
rien.
Athlétique, le regard d’acier, l’accent chantant,
Aniès s’est vu confier la mission de réinventer la cuisine de ce palace cher à
Charlie Chaplin et de présenter un répertoire gourmand bien à lui, personnalisé
–à cent lieues de la cuisine de grand hôtel des années 1960, figée dans un
corpus de recettes d’hier et d’avant-hier. Non à la terrine du chef et ses
toasts, non à l’escalope de veau milanaise, au riz pilaf et langouste, à la
sole pommes vapeurs et gâteau Opéra.
Quand ces ritournelles culinaires sont bien
exécutées, elles ne sont pas à dédaigner, dira-t-on avec raison. De plus, au
Grand Hôtel de Saint-Jean-Cap-Ferrat, il n’y a que 2% de Français, 30 à 50% de
Russes et le reste vient des quatre coins du globe, Anglo-Saxons en tête.
Donnons à ces pensionnaires étrangers des nourritures simples, identifiables,
dépourvues de toutes recherches et d’empreintes locales –après tout, il s’agit
de ne pas les dérouter. Commode et sans souci.
Tout cela est bel et bon, mais ne pouvait
coïncider avec la philosophie, la façon de faire son métier du chef Anies. Il
tient à informer sa direction:
«Ma
cuisine va refléter les ressources du pays, de la mer et des marchés. Elle sera
signée de moi, et je revendiquerai toutes les innovations, les références à la
tradition locale, et les saisons. Rien ne viendra de Rungis, croyez-moi. Et
l’on sentira dans les assiettes l’air de Saint-Jean et mes coups de cœur.»
Par chance, le Grand Hôtel dispose, depuis sa
formidable rénovation –80 millions d’euros injectés– de trois restaurants et de
70 cuisiniers, pâtissiers, boulangers… Pas question pour leur chef de les décevoir,
de jouer petit bras –il s’agit de les motiver et de les éblouir.
Ainsi, à la Véranda, deuxième table du palace,
Aniès envoie la salade niçoise (29 euros), l’exquise salade de poulpes, pommes
de terre et haricots verts (28 euros), les spaghetti aux palourdes (26 euros),
le risotto carnaroli de crevettes et parmesan (34 euros), le saumon mi-cuit au
fenouil et mesclun (28 euros) et le jubilé de fruits rouges, glace vanille (20
euros).
«Les
gamberoni (grosses crevettes) du Golfe de Gênes, les rougets magnifiques des
côtes, le pageot, le loup de mer, les courgettes violon et les artichauts
violets mis en œuvre à la Véranda et au Club des Dauphins, près de la piscine,
sont les mêmes produits utilisés au Cap, le restaurant étoilé de l’hôtel, confie Didier Aniès, bien heureux d’avoir reçu
des oronges (champignons) qu’il va dresser en carpaccio. Les produits ont le goût authentique de ce qu’ils sont.»
«Tout
est dans la fraîcheur»,
ajoute-t-il en contemplant la côte de veau de 600 grammes qu’il va cuire au
sautoir, parfumée à la truffe et aux aubergines. Le sudiste Aniès, ancien bras
droit du valeureux Jean-François Issautier, ex-deux étoiles à
Saint-Martin-du-Var, est de la race des Robuchon, Ducasse et Blanc (à Vonnas,
Ain). Que ce soit pour saisir des moules marinières, un steak au poivre, un
agneau de l’Allaiton en croûte d’olives ou pour lisser la fameuse purée au
beurre, ou cuire le merlan Colbert, le grand cuisinier travaille sa manière, sa
gestuelle avec autant de doigté, de respect, de sens des goûts.
C’est une question d’éthique, nourrir les humains
de son mieux reste une tâche noble ô combien, par ces temps de malbouffe. Cela
dit, au Cap, sous les étoiles du ciel, en lisière du superbe jardin botanique,
laissez-vous tenter par la fine lasagne au caviar d’Aquitaine et jeunes
poireaux à l’huile d’olive: c’est le chef-d’œuvre du chef Anies qui lui a valu
de porter le col bleu blanc rouge de Meilleur Ouvrier de France –une
réjouissance de bouche inoubliable.
- Grand Hôtel de Saint-Jean-Cap-Ferrat. 71 boulevard du Général de
Gaulle. Tél.: 04 93 76 50 50. Chambres à partir de 300 euros. Pas de fermeture.
Restaurant le Cap de 120 à 160 euros, la Véranda de 70 à 90 euros, le Club des
Dauphins de 80 à 100 euros.
Les
mésaventures culinaires de la Chèvre d’Or à Eze
Ah l’humeur vagabonde des chefs de cuisine! Au
début 2010, Didier Eléna, enfant de Monaco, disciple d’Alain Ducasse, accepte
le poste envié de chef de la Chèvre d’Or, un fantastique Relais&Châteaux
dissimulé dans la colline rocailleuse du minuscule village d’Eze, à une dizaine
de kilomètres de Nice. Le site historique, à 500 mètres au-dessus de la
méditerranée, est un véritable promontoire entre ciel et mer –au loin l’horizon
liquide, à vos pieds le littoral, les plages de Saint-Jean-Cap-Ferrat et
Beaulieu: sidérant de beauté. L’endroit est comme un nid d’aigle, un écrin de
suspension, truffé de terrasses, de restanques, de sentiers creusés dans le
piton rocheux; comme le dit Thierry Moria, directeur de l’un des trois
restaurants (les Remparts): «La Chèvre
d’Or est la dernière marche avant le paradis!» Diable!
Devenu mythique depuis que la légende raconte
qu’une chèvre au pelage roux a conduit au début du XXe siècle un paysan du
village vers une cache en pièces d’or aménagée dans la roche par une bergère
économe, le Relais&Châteaux –un des six premiers de la chaîne– n’a cessé
d’attirer les esthètes du voyage azuréen et les plus fins des gourmets.
Bizarrement, c’est Walt Disney qui en 1956 a contribué à lancer le restaurant
et les premières chambres logés dans les parois pierreuses auxquelles on accède
par les ruelles étroites d’Eze (véhicules interdits). Une bonne trentaine
d’escaliers traversent le relais, pas moins. La Chèvre d’Or se mérite, mais au
bout du périple, quel fascinant panorama!
La chère, la cuisine élégante des chefs qui se
sont succédé au piano, tous étoilés, méritaient le voyage: au ravissement des
yeux s’ajoutaient les plaisirs des papilles –Philippe Labbé, le dernier maître
queux en titre, parti en septembre 2009, avait obtenu deux étoiles justifiées,
frôlant la troisième deux années de suite. Pour le remplacer, Thérèse Blay, la
jolie brune, directrice de la Chèvre d’Or, a fait le tour des chefs les plus
talentueux disponibles ou volontaires –l’ex-trois étoiles Philippe Legendre,
ancien du Taillevent et du Cinq au Four Saisons George V, a été tenté, en vain.
Le prince du Meurice, Yannick Alleno, aussi, comme conseiller.
Venu des Crayères de Reims, le rond, jovial et
bon vivant Didier Eléna, deux étoiles, est choisi, en décembre 2009, pour la
réouverture en mars 2010: à première vue, c’est le candidat idéal. Sa famille
habite La Turbie, à quelques kilomètres d’Eze, son patrimoine culinaire ne peut
être plus méditerranéen, il veut s’en rapprocher (Ducasse le Monégasque l’a
bien vu), ce qui enchante Thérèse Blay –avant qu’elle ne déchante. Après deux
semaines en cuisine, Eléna annonce son départ… pour New York où Alain Ducasse a
décidé de lui confier les cuisines de son restaurant étoilé, l’Adour à l’Hôtel
San Regis, sur Park Avenue. Singulière déconvenue pour la restauration à la
Chèvre, aggravée par l’excellente note du Michelin à peine paru: le chef Eléna
retrouve deux étoiles alors qu’il n’est plus là!
Pour le Guide rouge, un cinglant camouflet: le
lecteur gastronome est trompé, car la Chèvre d’Or n’a plus de chef étoilé,
seulement des seconds. Que faire? Désarçonnée, victime d’un caprice, Thérèse
rouvre ses carnets et tombe sur le nom de Fabrice Vulin, chef de la Maison des
Saveurs à la Palmeraie de Marrakech, lequel, au bout de quatre années de
tajines, d’épices et de cornes de gazelle, cherche à renouer avec ses racines. «J’avais fait le tour des sortilèges de la
ville rouge, les deux restaurants créés, aux Jardins du Golf, marchaient bien
avec une équipe franco-marocaine bien formée, mais j’avais la nostalgie de la
France et des beaux produits comme la truffe, la poularde de Bresse, les
viandes d’origine qui me manquaient, explique Fabrice Vulin, quadragénaire
large d’épaules, contemplant la mer, du haut de la cuisine nacelle d’Eze. Bien que n’étant pas sudiste mais savoyard,
à la Chèvre, je me suis vite senti chez moi.»
À n’en pas douter, la douce Thérèse a mis la main
sur une perle: Vulin, ancien chef de Pic à Valence aux côtés d’Anne-Sophie, a
été le premier grand cuisinier à décrocher deux étoiles à Genève au divin Parc
des Eaux Vives, ce qui le met au niveau des chefs Labbé et Eléna. Il est à la
hauteur du défi, et il en veut au piano. Grâce à ce coup de poker, la Chèvre
devrait garder ses deux étoiles en mars prochain. Ouf!
À en juger par la carte d’automne en gestation,
la grande cuisine française et les produits nobles ou canailles sont à
l’honneur, le foie gras en trois préparations, les gamberoni du Golfe de Gênes,
les rougets de roche et boudin noir, les cèpes du pays, les langoustines de
Bretagne, l’agneau de Sisteron en croûte de poivrons, le bœuf de Salers aux
trois poivres, le ris de veau de lait, le pigeon de Bresse façon couscous, et
le turbot au champagne escorté de caviar osciètre, sans oublier les fromages du
maître affineur Bernard Anthony. De quoi réjouir les papilles des mangeurs les
plus fidèles d’Eze, ceux de la Principauté du Prince Albert, par exemple.
Après le rodage de l’été et la mise en place de
l’équipe de cuisine choisie par Vulin, la Chèvre devrait retrouver son statut
et son image de grande table de la Riviera.
- Château
de la Chèvre d’Or. Rue du Barri
06360 Eze Village. Tél. : 04 92 10 66 66. Trois restaurants de 60 à 230
euros, selon le cadre. Plats signatures de Fabrice Vulin à la table étoilée.
Chambres à partir de 280 euros.
Comme
une pizza de tomates, cèpes de pays, condiment de truffe noire
Recette
de Fabrice Vulin, chef de la Chèvre d’Or à Eze
Pour 4
personnes
Ingrédients
- 8
disques de feuilletage de 12 cm de diamètre
condiment
de truffe
Pour la concassée de tomate :
- 1 oignon
1
poivron rouge taillé en brunoise
4
gousses d’ail en chemise
3
pistils de safran
5
tomates type cœur de bœuf
1
bouquet garni
Pour la garniture :
- 24
petites girolles marinées
6 beaux
cèpes taillés en lamelles
(les
parures en brunoise sautées et caramélisées au beurre)
12
amandes fraîches
24
lanières de tomates confites
24
triangles de tomates marinées à l’huile de basilic
24
cercles de tomates marinées au vinaigre balsamique
24 demi
olives noires
24
rouelles d’oignons frits
24
triangles de mozzarella
sel fin,
poivre du moulin
sel de
Guérande
huile de
basilic
Préparation
1. Préchauffez le four à 200°C. Enfournez-y les
disques de feuilletage et faites-les cuire de 15 à 20 minutes.
2. Pelez l’oignon et ciselez-le finement. Dans une
sauteuse, versez un filet d’huile d’olive, ajoutez-y l’oignon et une pincée de
sel. Faites revenir à feu doux 3 à 4 minutes, sans coloration. Ajoutez la
brunoise de poivrons, l’ail en chemise, le bouquet garni et les tomates
taillées en dés. Assaisonnez, ajoutez le safran et une pincée de sucre, faites
cuire doucement en remuant doucement jusqu’à évaporation du liquide. Ôtez l’ail
et le bouquet garni, réservez au chaud.
3. Disposez sur quatre abaisses le condiment de
truffe et recouvrez avec les quatre autres abaisses. Répartissez la concassée
de tomates en une couche de ½ centimètre d’épaisseur et égalisez soigneusement.
4. Dressez les garnitures sur le dessus de chaque
pizza, placez-les sur une assiette de service et arrosez d’huile de basilic.
Servez de suite.
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