samedi 4 septembre 2010

L'Eglise fidèle à ses engagements

L'Eglise fidèle à ses engagements: "

Il faut avoir la mémoire défaillante ou être atteint d’une

étrange cécité pour s’étonner de la dénonciation par l’Eglise catholique de la

politique sécuritaire de Nicolas Sarkozy. On entend certains bons apôtres faire

la leçon à l’Eglise, lui rappeler que la France est une République laïque et

qu’au nom de la «séparation», elle doit «s’occuper de ses oignons»,

comme disait déjà l’amiral de Joybert, au début des années 70, en s’adressant

aux évêques qui critiquaient la force de frappe nucléaire. La laïcité n’a

jamais signifié la privation de parole pour l’Eglise. Bien au contraire, la «laïcité

positive
», à laquelle s’est souvent référé Nicolas Sarkozy lui-même,

suppose un droit constant d’intervention publique pour les religions,

compatible avec leur statut et leur mission.


La médiatisation actuelle de la parole du pape et des

évêques au sujet des Roms ne surprendra que ceux qui ignorent ou méprisent

généralement les prises de positions de l’Eglise. Ou les réduisent à une

défense crispée et réactionnaire de valeurs morales liées au sexe. Rien n’est

plus intellectuellement malhonnête que de faire semblant d’ignorer que le champ

de ses interventions ne se limite pas à la pilule ou au préservatif et que,

dans le domaine social, son message, porté par les Evangiles ou l’enseignement

des papes, n’a cessé de s’élargir.


Secourir les plus démunis


L’historien René Rémond faisait d’ailleurs

observer que l’opinion tolère mieux les prescriptions de l’Eglise dans le champ

de la morale collective - justice sociale, droits de l’homme, paix et

solidarité - que dans celui de la morale personnelle et sexuelle.


Faut-il donc s’étonner de la parole de l’Eglise sur les Roms

et les gens du voyage? Lui trouver une manière de faire diversion par rapport à

ses propres difficultés? Non, son discours est clair et traditionnel: on n’a pas le droit de brutaliser les plus

faibles. Et les Roms, depuis toujours, font partie de ces catégories soumises à

la précarité. Ce n’est pas seulement parce que beaucoup d’entre eux sont

chrétiens que l’Eglise est attentive à leur sort. C’est parce qu’ils sont les

plus démunis face à la fatalité qu’ils doivent être secourus.


S’il est un domaine où l’engagement de l’Eglise a

été précoce, constant, discret et non-violent, c’est bien celui de la défense

des étrangers en situation irrégulière. Sur ce sujet, elle mobilise ses

discours et ses écrits, ses équipes de terrain, ses associations. L’accueil est

un impératif dicté par la foi. L’Eglise a pour tâche d’exprimer sa fidélité et

son affection aux hommes et aux femmes immigrés, d’expliquer pourquoi ces gens

quittent leur pays, de mettre en garde contre toute caricature qui tend à faire

de l’étranger un menteur, un fraudeur, un voleur et contre toute logique

d’exclusion.


Un discours rejeté par l'extrême droite et les intégristes


Cela passe par la bataille politique comme celle à

laquelle on assiste aujourd’hui. Comment ne pas faire mémoire de deux évêques

aujourd’hui décédés comme Jean-Marie Lustiger (Paris) et Albert Decourtray

(Lyon) qui ne craignaient jamais de dénoncer le Front national, ses thèses «néo-païennes»,

son discours de haine? « Nous en avons assez de voir grandir la haine

contre les immigrés. Assez des idéologies qui la justifient et d’un parti dont

les thèses sont incompatibles avec l’enseignement de l’Eglise»
: c’est du

haut de la chaire de sa cathédrale de Lyon, en 1983, en pleine ascension du Front

national, que le cardinal Albert Decourtray avait prononcé ces paroles. Il

l’avait payé cher. Son nom fut traîné dans la boue par l’extrême droite et les

intégristes catholiques. La presse de Jean-Marie Le Pen l’habillait en

djellabah. Il recevait des crachats dans son courrier et les murs de sa

résidence à Fourvière furent recouverts de l’inscription: «Islam, maître du

monde».


Avec les ministres de

l’intérieur, les affrontements furent célèbres. Bien avant celui qui oppose

aujourd’hui Brice Hortefeux au cardinal André Vingt-Trois, président des

évêques de France, Charles Pasqua, en mai 1993, avait ferraillé avec

l’épiscopat. «On n’est pas en Arabie saoudite !», avait-il répliqué

aux évêques critiques déjà de sa politique d’immigration. Ce qui se traduisait par

ceci: le gouvernement ne supportera pas que les clercs dictent la loi à un pays

qui est une République laïque, et non un repaire d’ayatollahs.


Un peu plus tard, le même Charles

Pasqua renvoyait dans leurs sacristies les curés catholiques et les pasteurs

protestants, également unis dans la dénonciation de ses lois: ils feraient

mieux de «remplir leurs églises et d’aller évangéliser les banlieues

difficiles, plutôt que de laisser les imams y prêcher l’intégrisme».
Après

l’occupation de l’église Saint-André de Bobigny, en 1998, le ministre de

l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement s’en était pris aussi à l’évêque de

Saint-Denis, soupçonné de faire le jeu du Front national: «Si un jour, il y

a en France un gouvernement hégémonisé par l’extrême droite, l’évêque de

Saint-Denis en rendra compte au Jugement dernier!».


L'église refuge en Italie comme en France


De telles passes d’armes sont

monnaie courante en Italie où la puissante conférence épiscopale dénonce

régulièrement le racisme d’un parti extrémiste comme la Ligue du Nord, qui a

inscrit à son programme le rejet de l’immigré. Elle s’inspire d’un pape

champion des droits de l’homme comme Jean Paul II (mort en 2005) qui a

fortement contribué à cet éveil du souci de l’étranger dans les rangs

catholiques. «Comment les chrétiens pourraient-ils prétendre accueillir le

Christ s’ils ferment leur porte à l’étranger qui se présente à eux?»,


demandait-il en l’an 2000. Tous les membres de l’Eglise sont appelés «à

vivre mieux que d’autres groupes sociaux cette dynamique de l’unité fraternelle

et du respect des différences»
.


De telles références sont

reprises, élargies, illustrées dans une multitude de documents et lettres

d’évêques qui, comme en France et en Italie, en dépit même des réticences de

leurs propres fidèles, sont aux premiers rangs des luttes pour la défense des

immigrés, y compris au sein de leurs propres églises occupées. Car l’Eglise est

devenue l’ultime refuge de familles étrangères placées, comme les Roms

aujourd’hui ou les sans-papiers d’hier, dans des situations désespérées. Des

familles qui n’ont d’autre crainte que la reconduction à la frontière et

d’autre recours que la force symbolique d’un lieu de culte ou l’écoute

d’associations caritatives, plus disponibles et moins embarrassées que bien des

élus ou des hommes politiques, de droite comme de gauche.


Que l’Église catholique se doive

d’intervenir sur ces sujets, c’est dans la logique de sa mission de gardienne

des valeurs évangéliques. Surprise de la soudaine médiatisation de ses prises

de position contre les expulsions de Roms et des oppositions soulevées - y

compris dans ses rangs, elle n’entend pas renoncer à parler. Elle s’opposera

aux décrets de la loi Besson jugés «trop durs» au sujet de la déchéance

de la nationalité (Mgr Claude Schockert, chargé des migrants à la conférence

des évêques, interviewé dans Le Parisien du 31 août, payant).

Et, dans son tête-à-tête avec Brice Hortefeux, l’archevêque de Paris vient de

rappeler que les positions de l’Eglise sur les Roms ne sont pas dictées par un

soudain plan de lutte anti-Sarkozy, mais sont conformes à un engagement

constant de l’Eglise en faveur de l’accueil des migrants et de la dignité

humaine.


Henri Tincq

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