Si les informations se confirment, Kim Jong Il pourrait
donner la Corée du Nord à son fils Kim
Jong-un
dans les prochaines semaines. Le nouveau leader héritera d’un pays affublé d’une
très mauvaise réputation. On l’a vu durant la
dernière Coupe du monde, personne n’a soutenu la Corée du nord, bien
qu’elle se soit qualifiée. Il est vrai que ce pays asiatique est réputé
hermétique au reste du monde et se trouve en état de guerre permanent avec le
pays jumeau du Sud. Pourtant, d’autres nations, faisant également partie du
club de l’Axe du Mal bénéficient
d’une grande popularité dans le reste du monde. L’Iran, la Syrie ou encore le
Venezuela parviennent à trouver de nombreux soutiens, y compris en Occident. Le
nouvel homme fort nord-coréen pourrait bénéficier de quelques conseils pour
l’amener, sinon à la démocratie, en tout cas vers plus de succès pour projeter
une meilleure image de ce que l’on se borne à définir comme «la dernière
dictature stalinienne du monde». La République populaire démocratique de Corée
(RPDC) présente nombre de handicaps pour présenter une voix convenable dans le
concert des nations. Elle peut toutefois devenir fréquentable, à l’image des
autres dictatures, avec quelques ajustements dans sa politique de
communication.
Utiliser les bons relais
La propagande
évolue, et on n’emploie plus les méthodes des beaux jours
de la Guerre froide. Pour le pouvoir nord-coréen, la première règle devrait être d’utiliser
des leaders d’opinion qui relaieront la défense du système. Hugo Chavez,
dirigeant populiste du Venezuela, a
parfaitement compris ce principe et dépense temps et argent pour ne pas isoler son pays. Au
contraire, il l’ouvre à ceux qui peuvent être d’efficaces hérauts de son
action, en particulier lorsqu’ils sont américains et célèbres. La meilleure
preuve de l’efficacité du système de communication du leader vénézuélien a
peut-être été le jour où Sean Penn a proposé d’emprisonner les
journalistes qui qualifieraient Chavez de dictateur. On se souvient également d’Oliver Stone foulant le tapis rouge de la Mostra de Venise avec
Hugo Chavez à l’occasion de son documentaire sur la gauche sud américaine, South of the Border. Michael
Moore constitue également un relais intéressant. Tom Wolfe, dans son brillant
essai sur Le
Gauchisme de Park Avenue avait
évoqué cette gauche américaine mal à l’aise avec son pouvoir et son argent et
qui, pour se rédimer de ce poids, encourageait les mouvements qui conduisaient
précisément à son extinction. On espère que l’inventeur du New Journalism se penchera un jour sur ce nouveau «Radical chic».
En attendant, Penn, Stone et Moore devraient être invités à Pyongyang pour y
goûter les délices d’un été stalinien.
Se positionner clairement (ou pas)
La Corée du
Nord, en multipliant les ennemis, laisse à penser qu’elle a choisi la voie du
martyr. Même si on sait que le Grand Frère chinois veille sur elle, on devine
également que cette bienveillance ne durera pas tant que les échanges
commerciaux avec les Etats-Unis priment sur les concepts idéologiques
d’autrefois. Il va donc être nécessaire au successeur de Il-sung et Jong Il
d’expliquer à l’opinion publique mondiale qui sont les véritables ennemis de la
RPDC. On se rappelle avec peine la théorie du Juche, établi par le Kim Il-sung, qui a pourtant subventionné des centres
d’études dans le monde entier. Il est temps de trouver un combat facilement
explicable dans les médias qui permette de situer la Corée du Nord.
Avec la chute
de tous presque tous les régimes se réclamant du communisme, la Corée du Nord
se retrouve bien seule. Largement dépassée par l’Iran dans le combat contre l’Occident,
supplantée par les anti-impérialistes sud-américains dans la haine de
l’Amérique, en retard sur Cuba pour l’application d’un socialisme sinon à
visage humain, en tout cas d’apparence familiale, la Corée du Nord ne peut
guère que s’inspirer de l’autre dictature dynastique d’origine socialiste: la
Syrie. Les Assad ont établi une solide tradition de république démocratique de
père en fils, et ont réussi à la faire fructifier dans une région pourtant
difficile où il est préférable de se réclamer de la descendance du Prophète
pour hériter du pouvoir. Le régime syrien, en plus d’être un partenaire
incontournable pour la stabilité du Moyen-Orient, voit également son économie
croître et les touristes affluer. Comment Bachar el Assad parvient-il à se maintenir
au pouvoir et perpétuer la tradition autocratique de son père Hafez? En
appliquant la théorie de la girouette si bien définie par Edgar Faure. Au lieu de camper sur ses positions idéologiques, le
régime syrien sait déroger à ses principes, notamment en rejoignant la
coalition menée par les Etats-Unis lors de la Guerre du Golfe de 1991, ou au
contraire en soutenant les mouvements anti-occidentaux comme le Hezbollah.
Ainsi, Kim Jong Il devrait, pour mieux assurer sa succession soit élaborer un
message de lutte clair, soit savoir jouer des alliances. Son fils pourrait
ainsi continuer de régner non seulement sur une population dévouée, mais
également profiter de soutiens internationaux qui pourraient se matérialiser
par des groupes facebook. Il faut tout de même se rappeler la Théorie des trois
générations qui veut qu’en économie, la première génération crée, la seconde
développe et la troisième ruine. Le successeur de Kim Jong Il ferait bien de se
lancer dans la mystique des monarques pour garantir un soutien populaire. Il
mettra également fin à une propagande raciale
nauséabonde qui ne
peut mener nulle part au XXIe siècle.
Relookage
Un leader fort
se doit d’être un homme charismatique. Avec son uniforme laid, pourtant
sur-mesure, ses lunettes de star du X et ses talonnettes, Kim Jong Il fait peu
d’efforts pour charmer les foules. L’homme est pourtant réputé pour sa passion
pour les films hollywoodiens où il pourrait puiser son inspiration. Kim Jong Il
fait partie de cette fraternité des dictateurs en blouson, avec notamment
Ahmadinejad d’Iran, qui ne font guère autorité en voulant faire trop populaire.
Sans forcément prôner le costume-cravate à l’occidental, aujourd’hui, le dictateur
a le choix pour rester dans le vent. Hugo Chavez affectionne le style
militaire, dans la grande tradition autocrate. On pourrait aussi recommander le
costume traditionnel –celui d’Hamid Karzai a fasciné l’Occident pendant des
années, avant qu’on comprenne que l’habit ne fait pas le moudjahidine.
N’ennuyons pas nos lecteurs plus avant avec ces détails, n’importe quel
styliste pourra aider la présidence nord-coréenne à dépasser sans difficulté le
stade de glamour de l’Union européenne.
Etre un bon voisin
En revanche, il serait bon de ne pas continuer la
politique d’agression permanente envers ses voisins. Personne n’aime le vieux
râleur du quartier qui passe son temps à crier sur les enfants parce qu’ils
font trop de bruit et tirent sur les mobylettes qui pétaradent. Ainsi, la
République populaire démocratique de Corée aurait coulé un navire appartenant à la République de
Corée qui, en représailles, a remis en marche le système de haut-parleurs à la
frontière. La RPDC a donc menacé de tirer sur les
haut-parleurs s’ils étaient réactivés. La Corée du Sud, légitimement inquiète pour sa
sécurité, a participé à des manœuvres militaires avec les États-Unis, et le voisin
du Nord a menacé de représailles nucléaires. La Corée du Nord semble parfois
oublier que la République de Corée est, avec la République Populaire de Chine,
son principal pourvoyeur de dons alimentaires. Avec ses vociférations sur le
programme nucléaire, la Corée du Nord admet qu’elle n’a plus les moyens
d’envahir la Corée du Sud: la guerre froide est finie, le Japon est
remilitarisé et la République de Corée est maintenant un des leaders mondiaux
en technologie, avec une armée équipée en conséquence. La Corée du Nord, de son
côté, vit encore comme au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Le problème
provient de la fermeture au monde de la RPDC. Là encore, la Corée du Nord ne
parvient pas à se distinguer complètement, n’arrivant qu’en avant-dernière
position dans le classement RSF de la
liberté de la presse, l’Erythrée étant le pays ultime. L’internet ne profite qu’à une minorité, et
n’est pas accessible au peuple. La Corée du Nord a devant elle un énorme
travail de compréhension du monde moderne: une dictature peut parfaitement
durer même en autorisant internet. Le monde d’aujourd’hui ne ressemble pas au 1984 d’Orwell,
mais plutôt au Meilleur
des Mondes de Huxley. Il est préférable d’utiliser les médias comme
le fait Chavez, plutôt que de croire qu’en 2010 un
pays peut avoir un avenir sans s’ouvrir au monde.
Récemment, une exposition à Vienne a créé le scandale en montrant des œuvres d’art de
propagande nord-coréenne. Fallait-il montrer ces tableaux et photos, au risque
de contribuer à la promotion du régime? La question se pose pour le reste du
monde: amener la Corée du Nord à une évolution vers plus de droits de l’homme,
ou étouffer un régime dont les leaders invoquent un stalinisme anachronique
pour affamer une population prise en otages? Contrairement à la Syrie, l’Iran,
le Venezuela ou Cuba, la disparition de la Corée du Nord ne choquerait
personne. Si on peut douter que le prochain leader change quoi que ce soit au
régime, on peut toujours espérer qu’un jour, le drapeau de la RPDC signifie
autre chose qu’un vaste parc d’attractions des horreurs du socialisme.
Etienne Augé
Photo: Un visiteur devant le portrait de Kim Jong Il au mémorial coréen de la guerre, à Séoul, en mai 2010. REUTERS/Jo Yong-Hak
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