samedi 4 septembre 2010

Ce que devrait faire Kim Jong Il pour être plus fréquentable

Ce que devrait faire Kim Jong Il pour être plus fréquentable: "

Si les informations se confirment, Kim Jong Il pourrait

donner la Corée du Nord à son fils Kim

Jong-un

dans les prochaines semaines
. Le nouveau leader héritera d’un pays affublé d’une

très mauvaise réputation. On l’a vu durant la

dernière Coupe du monde
, personne n’a soutenu la Corée du nord, bien

qu’elle se soit qualifiée. Il est vrai que ce pays asiatique est réputé

hermétique au reste du monde et se trouve en état de guerre permanent avec le

pays jumeau du Sud. Pourtant, d’autres nations, faisant également partie du

club de l’Axe du Mal bénéficient

d’une grande popularité dans le reste du monde. L’Iran, la Syrie ou encore le

Venezuela parviennent à trouver de nombreux soutiens, y compris en Occident. Le

nouvel homme fort nord-coréen pourrait bénéficier de quelques conseils pour

l’amener, sinon à la démocratie, en tout cas vers plus de succès pour projeter

une meilleure image de ce que l’on se borne à définir comme «la dernière

dictature stalinienne du monde». La République populaire démocratique de Corée

(RPDC) présente nombre de handicaps pour présenter une voix convenable dans le

concert des nations. Elle peut toutefois devenir fréquentable, à l’image des

autres dictatures, avec quelques ajustements dans sa politique de

communication.


Utiliser les bons relais


La propagande

évolue, et on n’emploie plus les méthodes des beaux jours

de la Guerre froide
. Pour le pouvoir nord-coréen, la première règle devrait être d’utiliser

des leaders d’opinion qui relaieront la défense du système. Hugo Chavez,

dirigeant populiste du Venezuela, a

parfaitement compris ce principe
et dépense temps et argent pour ne pas isoler son pays. Au

contraire, il l’ouvre à ceux qui peuvent être d’efficaces hérauts de son

action, en particulier lorsqu’ils sont américains et célèbres. La meilleure

preuve de l’efficacité du système de communication du leader vénézuélien a

peut-être été le jour où Sean Penn a proposé d’emprisonner les

journalistes qui qualifieraient Chavez de dictateur
. On se souvient également d’Oliver Stone foulant le tapis rouge de la Mostra de Venise avec

Hugo Chavez à l’occasion de son documentaire sur la gauche sud américaine, South of the Border. Michael

Moore constitue également un relais intéressant. Tom Wolfe, dans son brillant

essai sur Le

Gauchisme de Park Avenue
avait

évoqué cette gauche américaine mal à l’aise avec son pouvoir et son argent et

qui, pour se rédimer de ce poids, encourageait les mouvements qui conduisaient

précisément à son extinction. On espère que l’inventeur du New Journalism se penchera un jour sur ce nouveau «Radical chic».

En attendant, Penn, Stone et Moore devraient être invités à Pyongyang pour y

goûter les délices d’un été stalinien.


Se positionner clairement (ou pas)


La Corée du

Nord, en multipliant les ennemis, laisse à penser qu’elle a choisi la voie du

martyr. Même si on sait que le Grand Frère chinois veille sur elle, on devine

également que cette bienveillance ne durera pas tant que les échanges

commerciaux avec les Etats-Unis priment sur les concepts idéologiques

d’autrefois. Il va donc être nécessaire au successeur de Il-sung et Jong Il

d’expliquer à l’opinion publique mondiale qui sont les véritables ennemis de la

RPDC. On se rappelle avec peine la théorie du Juche, établi par le Kim Il-sung, qui a pourtant subventionné des centres

d’études dans le monde entier. Il est temps de trouver un combat facilement

explicable dans les médias qui permette de situer la Corée du Nord.


Avec la chute

de tous presque tous les régimes se réclamant du communisme, la Corée du Nord

se retrouve bien seule. Largement dépassée par l’Iran dans le combat contre l’Occident,

supplantée par les anti-impérialistes sud-américains dans la haine de

l’Amérique, en retard sur Cuba pour l’application d’un socialisme sinon à

visage humain, en tout cas d’apparence familiale, la Corée du Nord ne peut

guère que s’inspirer de l’autre dictature dynastique d’origine socialiste: la

Syrie. Les Assad ont établi une solide tradition de république démocratique de

père en fils, et ont réussi à la faire fructifier dans une région pourtant

difficile où il est préférable de se réclamer de la descendance du Prophète

pour hériter du pouvoir. Le régime syrien, en plus d’être un partenaire

incontournable pour la stabilité du Moyen-Orient, voit également son économie

croître et les touristes affluer. Comment Bachar el Assad parvient-il à se maintenir

au pouvoir et perpétuer la tradition autocratique de son père Hafez? En

appliquant la théorie de la girouette si bien définie par Edgar Faure. Au lieu de camper sur ses positions idéologiques, le

régime syrien sait déroger à ses principes, notamment en rejoignant la

coalition menée par les Etats-Unis lors de la Guerre du Golfe de 1991, ou au

contraire en soutenant les mouvements anti-occidentaux comme le Hezbollah.

Ainsi, Kim Jong Il devrait, pour mieux assurer sa succession soit élaborer un

message de lutte clair, soit savoir jouer des alliances. Son fils pourrait

ainsi continuer de régner non seulement sur une population dévouée, mais

également profiter de soutiens internationaux qui pourraient se matérialiser

par des groupes facebook. Il faut tout de même se rappeler la Théorie des trois

générations qui veut qu’en économie, la première génération crée, la seconde

développe et la troisième ruine. Le successeur de Kim Jong Il ferait bien de se

lancer dans la mystique des monarques pour garantir un soutien populaire. Il

mettra également fin à une propagande raciale

nauséabonde
qui ne

peut mener nulle part au XXIe siècle.


Relookage


Un leader fort

se doit d’être un homme charismatique. Avec son uniforme laid, pourtant

sur-mesure, ses lunettes de star du X et ses talonnettes, Kim Jong Il fait peu

d’efforts pour charmer les foules. L’homme est pourtant réputé pour sa passion

pour les films hollywoodiens où il pourrait puiser son inspiration. Kim Jong Il

fait partie de cette fraternité des dictateurs en blouson, avec notamment

Ahmadinejad d’Iran, qui ne font guère autorité en voulant faire trop populaire.

Sans forcément prôner le costume-cravate à l’occidental, aujourd’hui, le dictateur

a le choix pour rester dans le vent. Hugo Chavez affectionne le style

militaire, dans la grande tradition autocrate. On pourrait aussi recommander le

costume traditionnel –celui d’Hamid Karzai a fasciné l’Occident pendant des

années, avant qu’on comprenne que l’habit ne fait pas le moudjahidine.

N’ennuyons pas nos lecteurs plus avant avec ces détails, n’importe quel

styliste pourra aider la présidence nord-coréenne à dépasser sans difficulté le

stade de glamour de l’Union européenne.


Etre un bon voisin


En revanche, il serait bon de ne pas continuer la

politique d’agression permanente envers ses voisins. Personne n’aime le vieux

râleur du quartier qui passe son temps à crier sur les enfants parce qu’ils

font trop de bruit et tirent sur les mobylettes qui pétaradent. Ainsi, la

République populaire démocratique de Corée aurait coulé un navire appartenant à la République de

Corée qui, en représailles, a remis en marche le système de haut-parleurs à la

frontière. La RPDC a donc menacé de tirer sur les

haut-parleurs
s’ils étaient réactivés. La Corée du Sud, légitimement inquiète pour sa

sécurité, a participé à des manœuvres militaires avec les États-Unis, et le voisin

du Nord a menacé de représailles nucléaires. La Corée du Nord semble parfois

oublier que la République de Corée est, avec la République Populaire de Chine,

son principal pourvoyeur de dons alimentaires. Avec ses vociférations sur le

programme nucléaire, la Corée du Nord admet qu’elle n’a plus les moyens

d’envahir la Corée du Sud: la guerre froide est finie, le Japon est

remilitarisé et la République de Corée est maintenant un des leaders mondiaux

en technologie, avec une armée équipée en conséquence. La Corée du Nord, de son

côté, vit encore comme au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Le problème

provient de la fermeture au monde de la RPDC. Là encore, la Corée du Nord ne

parvient pas à se distinguer complètement, n’arrivant qu’en avant-dernière

position dans le classement RSF de la

liberté de la presse
, l’Erythrée étant le pays ultime. L’internet ne profite qu’à une minorité, et

n’est pas accessible au peuple. La Corée du Nord a devant elle un énorme

travail de compréhension du monde moderne: une dictature peut parfaitement

durer même en autorisant internet. Le monde d’aujourd’hui ne ressemble pas au 1984 d’Orwell,

mais plutôt au Meilleur

des Mondes
de Huxley. Il est préférable d’utiliser les médias comme

le fait Chavez, plutôt que de croire qu’en 2010 un

pays peut avoir un avenir sans s’ouvrir au monde.


Récemment, une exposition à Vienne a créé le scandale en montrant des œuvres d’art de

propagande nord-coréenne. Fallait-il montrer ces tableaux et photos, au risque

de contribuer à la promotion du régime? La question se pose pour le reste du

monde: amener la Corée du Nord à une évolution vers plus de droits de l’homme,

ou étouffer un régime dont les leaders invoquent un stalinisme anachronique

pour affamer une population prise en otages? Contrairement à la Syrie, l’Iran,

le Venezuela ou Cuba, la disparition de la Corée du Nord ne choquerait

personne. Si on peut douter que le prochain leader change quoi que ce soit au

régime, on peut toujours espérer qu’un jour, le drapeau de la RPDC signifie

autre chose qu’un vaste parc d’attractions des horreurs du socialisme.


Etienne Augé


Photo: Un visiteur devant le portrait de Kim Jong Il au mémorial coréen de la guerre, à Séoul, en mai 2010. REUTERS/Jo Yong-Hak

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