Lundi 6 septembre. Gare de l’Est à Paris. Départ officiel d’un
étrange outillage ferroviaire itinérant visant à mobiliser l’attention
des foules sur les méfaits de la maladie d’Alzheimer. Programme: douze villes
en deux semaines. Un train au service d’une communication «à l’ancienne», de celle
en vigueur à l’époque des chemins de fer à vapeur et de l’identification au
début du siècle dernier par un médecin allemand prénommé Aloïs
de la maladie neurodégénérative qui, depuis, porte son nom.
Lundi 6 septembre. Gare de l’Est, donc. Roselyne Bachelot,
ministre de la Santé et des Sports est là, serrée dans l’un de ses désormais
célèbres tailleurs fleuris. Et, comme tous les responsables politiques
descendant «sur le terrain», elle parle et sourit, sourit et parle, s’enivrant de
ses éléments de langage à la fois compassionnels et volontaristes. Accompagnée
par Bernadette Chirac, la ministre commence la visite de l’exposition qui «sillonne»
la France jusqu’au 21 septembre grâce au soutien d’un improbable conglomérat de
partenaires allant de Pfizer à Nestlé
jusqu’à l’assurance maladie et la mutualité française sans oublier Bluelinea société
«innovante», son bracelet électronique «BlueTag» et son stylo «BluePen» qui permet
le recueil électronique de données manuscrites.
Que retiendra-t-on de cette sortie ministérielle? Cette courte
séquence tournée par streetpress.
Ainsi donc cette cette phrase:
«Ah oui ça, le
post-it®, est un élément très important du traitement de l’Alzheimer!»
Roselyne Bachelot réagissait à la présence dans une
voiture de ce train «dédié» (sur différentes photographies que l’on imagine
être de malades ou de membres de leur famille) de petits timbres rectangulaires
auto-adhésifs de différentes
couleurs sur lesquels on avait écrit le nom des personnes photographiées. Du
genre: «Georges tu vois là c’est toi pendant
l’été 2008. Tu es avec ta nièce Camille…» En clair ces post-it® seraient
les meilleures balises quotidiennes pour guider les victimes de la perte progressive
de toute autonomie, l’effacement de tous les repères personnels et
spatio-temporels. Postulat: répartis et renouvelés un peu partout dans l’espace
de vie du malade, ces messages pourraient (entre mille et une autres astuces
pratiques destinées à stimuler l’attention et la mémoire) aider à freiner les
mécanismes de la dégénérescence neurologique.
Dont acte. Mais de là à transformer le nom de marque déposée
(par 3M) Post-it® (pourquoi ne pas
avoir parlé, sinon de «pense-bête» du moins de «papillon adhésif» ou de
«papillon autocollant»?) en «élément très
important du traitement», il y a un pas qu’un ministre de la Santé ne peut
pas franchir sans prendre de grands risques. Tous les soignants spécialisés dans la prise en charge des malades
auront sans soute compris qu’il s’agissait d’une sorte d’ellipse.
Pour Roselyne Bachelot, le post-it® n’était ici (du moins
peut-on l’espérer) que le symbole de la somme des initiatives techniques ou des
stimuli relationnels permettant de garder le plus longtemps possible un lien
aussi ténu soit-il avec ceux qui quittent progressivement leur entourage tout
en restant vivants. Mais les autres, tous ceux qui n’auront pas perçu l’ellipse?
Qu’auront-ils perçu dans la promotion au rang de thérapeutique majeure d’un
papier adhésif contre une maladie incurable affectant aujourd’hui près de 800.000
personnes en France? Le post-it®, clef de voûte d’un plan national lancé
en 2008 à hauteur de 1,6 milliard d’euros sur cinq ans (1,2 milliard pour le
médico-social, 200 millions pour la santé et autant pour la recherche)?
Les incompréhensions créées par cette sortie ministérielle
sont d’autant plus paradoxales que les dernières nouvelles du front de la lutte
contre la maladie d’Alzheimer indiquent toutes qu’il faut davantage attendre
d’une prise en charge «stimulante» au quotidien que de quelconques avancées
médicamenteuses. Plusieurs grands essais de molécules prometteuses viennent
d’être interrompus, les effets indésirables étant de loin supérieurs aux
faibles bénéfices observés.
Plus grave encore, dans les milieux spécialisés de la
recherche, on en vient à remettre en cause les hypothèses développées depuis un
quart de siècle quant aux
causes de cette affection. Au-delà de futures politiques de prévention,
l’espoir ne réside plus aujourd’hui que dans la mise au point de techniques de
dépistage précoce (avant même l’apparition des premiers symptômes) et dans la
stimulation des fonctions cérébrales des personnes ainsi identifiées. Les
post-it® auront sans aucun doute toujours une place. Elle est aujourd’hui en
moyenne sous la barre des 20 centimètres carré.
Jean-Yves Nau
Photo: Roselyne Bachelot, durant une conférence de presse en Afrique du Sud en juin 2010. REUTERS/Charles Platiau
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