Comme prévu, Nicolas Sarkozy
reste ferme sur le fond de la réforme des retraites –le passage de 60 à 62 ans
de l’âge légal— et il cède sur l’un des éléments de la pénibilité, en proposant
de ramener son seuil de déclenchement de 20% à 10%. La pénibilité, c’est l’une
des questions les plus sensibles. Mais on est loin de la demande de la CGT, qui
était d’ouvrir une négociation globale sur la réforme, incluant l’âge légal.
La réponse présidentielle en
reste donc au prévisible, au prévu; à la partition qui était écrite à l’avance
dans un consensus tacite avec les principaux syndicats (hors Force Ouvrière qui
est sur une ligne d’extrême gauche et de rejet total). Ce qui n’est pas écrit
en revanche, c’est… la suite. Laquelle va être dictée, non seulement par les
syndicats, mais par les Français eux-mêmes, après l’incontestable succès de la
journée du 7 septembre: le rassemblement le plus important contre le
gouvernement qui ait eu lieu, à ce jour, au cours du quinquennat de Nicolas
Sarkozy. Personne ne sait, à la vérité, ce qui peut se passer et qui peut se
dérouler selon deux scénarios principaux.
Scénario n° 1
C’est celui que
semblent vouloir mettre en place les syndicats qui, estimant le gouvernement et
le président suffisamment affaiblis, enclenchent un processus d’amplification
du mouvement. On se rassemble un samedi de façon à ce que les familles et le
secteur privé puissent eux aussi défiler, sans perdre une journée de salaire.
Succès garanti. Puis on refixe une journée de grève et, selon l’ampleur de
celle-ci, on passe à la grève reconductible, etc. On tient, en tous cas, le
gouvernement sous cette menace avec une démonstration irréfutable: chaque
tentative de réforme, qui a suscité une protestation forte dans la rue, s’est
achevée par l’échec électoral des promoteurs de la réforme.
C’est la séquence 1984: 2
millions de personnes de Versailles à Paris contre le service public unifié de
l’éducation; 1986: François Mitterrand contraint à une première cohabitation,
celle-là avec Jacques Chirac; 1995: la paralysie du pays contre la
réforme des régimes spéciaux de retraite; 1997 : la géniale dissolution
initiée par Chirac et Villepin, qui installent Lionel Jospin au gouvernement.
On pourrait ajouter 2006 et les manifestations contre le CPE, principal fait
d’armes de Dominique de Villepin et la victoire de l’homme de la «rupture» avec
le chiraco-villepinisme, à savoir Nicolas Sarkozy.
Dans ce scénario, en tous cas,
si les cortèges s’amplifient, si la contestation se radicalise, l’étape 2 du quinquennat de Nicolas
Sarkozy s’engage sous la contrainte, dans un contexte de crise qui ne pourrait
bien sûr que faciliter l’alternance. En sachant que, dans ce cas de figure, la
réforme elle-même, mais aussi les principaux syndicats qui savent qu’elle est
indispensable, et le Parti socialiste, qui serait plutôt heureux de retrouver le pouvoir sans avoir
à affronter la question des retraites, seraient aussi perdants.
Scénario n°2
S’appuyant sur le
fait que l’opinion admet la nécessité de la réforme, même si elle trouve
celle-ci injuste, acceptant de valoriser les concessions faites comme autant de
gains obtenus par les manifestants, la réforme passe. Le Parlement joue son
rôle et, entre une majorité radicale et des manifestants nombreux, le
gouvernement parvient à donner l’idée que, sans céder sur l’essentiel, il a
concédé ce qui pouvait l’être.
Nous sommes alors fin octobre et
Nicolas Sarkozy peut engager la phase ultime de son quinquennat. Remaniement,
nouveau gouvernement, nouveaux départs: une équipe de droite au sein de
laquelle l’aristocratie chiraquienne a repris toute sa place, et, sur le fond,
un retour au centre avec la création d’un risque «dépendance» (à moi les
seniors!). Dans ce schéma, nous restons dans la ritualisation de la
protestation, l’opinion est globalement hostile mais résignée, jouant le jeu
d’une protestation à la fois nécessaire et inutile. En attendant bien sûr de
solder les comptes, comme dans toute bonne démocratie, en 2012.
Quelques remarques, sans revenir
sur le fond de la réforme elle-même
1 – Comme de coutume, dans le
processus de construction-déconstruction qui le caractérise, Nicolas Sarkozy
s’est désarmé lui-même. Avant l’été, tout paraissait devoir tourner autour de
l’art et la manière de faire passer la réforme des retraites. Après l’été, et le
trop fameux discours de Grenoble, voilà le Président et son gouvernement encore
plus affaiblis dans l’opinion. Et surtout, avec une partie des Français,
irrités, énervés, colérisés, moins par le discours sécuritaire du chef de
l’Etat que par ses tristes ornements idéologiques au nom de sa recherche d’un
électorat populaire dont la droite craint qu’il ne gonfle de nouveau les voix
du Front national.
Il est clair, en effet, que les
Français ont tout lieu d’être exaspérés par une insécurité que la une des journaux
nous rappelle quotidiennement. Mais une bonne partie du pays n’est pas prête,
heureusement, à rallier le mot d’ordre fondateur du Front national, à savoir le
lien entre immigration et délinquance et est encore moins prête à accepter
l’amalgame «gens du voyage/roms», la politique du chiffre à l’encontre des Roms
et les manipulations autour de la déchéance de la nationalité.
Au lieu d’avoir présenté un
profil plus consensuel, le temps d’obtenir la réforme des retraites, Nicolas
Sarkozy a, comme toujours, choisi de tout faire en même temps: les retraites,
mais aussi la recherche d’arêtes idéologiques, de clivages propres à ses yeux à
ressouder l’électorat de la droite. Il va bien sûr jouer bientôt la partition
du capitaine courageux, capable, au milieu des protestations, de tenir son cap.
Mais il aborde cette phase avec des faiblesses dont il aurait pu faire
l’économie.
2 – L’opposition, dans ce
contexte, engrange bien sûr. Mais elle a pourtant tort de ne pas concéder sur
l’essentiel, à savoir l’impossibilité d’éviter de repousser l’âge légal comme
élément clé du financement du système de répartition. Elle prétend, dans ce
domaine comme dans d’autres, «faire payer les riches» et en appeler à l’impôt.
Mais, outre que l’impôt contredit le fondement même du système de répartition,
on ne pourra pas, si la gauche revient au pouvoir, lever des impôts pour
financer toutes les autres promesses qui figurent dans le catalogue qu’a
présenté Pierre Moscovici –augmentation du smic, des petites retraites,
création d’une allocation pour les jeunes, d’une allocation dépendance, ré-embauche de fonctionnaires, etc.
Dans l’état connu des finances
publiques, il faudra faire des choix et on ne peut pas prétendre tout régler
par ce seul slogan. Mais surtout, une fois de plus, en France, l’opposition
favorise un consensus anti-jeunes. Aux jeunes, dont les conditions d’études
sont déjà difficiles, on retarde au maximum leur entrée sur le marché du
travail. Et lorsqu’ils y entrent, ils ont, si l’on suit l’opposition et si l’on
rétablit la retraite à 60 ans, comme seule perspective de payer beaucoup plus
que leurs aînés pour financer les retraites de leurs ainés.
Car, dans notre système de
répartition, tel qu’il est, il n’y a pas d’autre issue: les actifs
d’aujourd’hui paient pour les retraités d’aujourd’hui. Ces derniers sont de
plus en plus nombreux. Et ils vivent de plus en plus longtemps. Il faudra donc
que les jeunes acceptent de payer davantage pour ces retraités-là, qu’ils
acceptent en outre une charge fiscale nécessairement plus lourde, alors même
qu’ils ont été victimes d’un consensus national. Ne sommes-nous pas le champion
toutes catégories du chômage des jeunes! N’en jetez plus, la coupe est pleine:
c’est la jeunesse qui devrait donc
être dans la rue, mais pour des raisons inverses de celles qui ont conduit près
de 3 millions de personnes dans la rue le 7 septembre.
3 – Ce qui s’est passé le 7
septembre, et ce qui se passera lors des prochains rassemblements, va fortement
influencer le rapport des forces politiques dans le pays. Pour le moment, le
pays est majoritairement anti-sarkozyste. Si ce climat perdure, la gauche
gagnera. Mais elle est minoritaire aux présidentielles. Elle aurait donc tout à gagner à y
réfléchir dès maintenant en sachant qu’au moment du vote, une majorité de Français
récusera celles et ceux qui persisteraient à lui promettre que, dans ce
contexte, on peut encore raser gratis…
Jean-Marie Colombani
Photo: A Nantes, le 7 septembre 2010 durant la manifestation contre la réforme des retraites. REUTERS/Stephane Mahe
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