mercredi 8 septembre 2010

Retraites: la réforme au poker menteur

Retraites: la réforme au poker menteur: "

Comme prévu, Nicolas Sarkozy

reste ferme sur le fond de la réforme des retraites –le passage de 60 à 62 ans

de l’âge légal— et il cède sur l’un des éléments de la pénibilité, en proposant

de ramener son seuil de déclenchement de 20% à 10%. La pénibilité, c’est l’une

des questions les plus sensibles. Mais on est loin de la demande de la CGT, qui

était d’ouvrir une négociation globale sur la réforme, incluant l’âge légal.


La réponse présidentielle en

reste donc au prévisible, au prévu; à la partition qui était écrite à l’avance

dans un consensus tacite avec les principaux syndicats (hors Force Ouvrière qui

est sur une ligne d’extrême gauche et de rejet total). Ce qui n’est pas écrit

en revanche, c’est… la suite. Laquelle va être dictée, non seulement par les

syndicats, mais par les Français eux-mêmes, après l’incontestable succès de la

journée du 7 septembre: le rassemblement le plus important contre le

gouvernement qui ait eu lieu, à ce jour, au cours du quinquennat de Nicolas

Sarkozy. Personne ne sait, à la vérité, ce qui peut se passer et qui peut se

dérouler selon deux scénarios principaux.


Scénario n° 1


C’est celui que

semblent vouloir mettre en place les syndicats qui, estimant le gouvernement et

le président suffisamment affaiblis, enclenchent un processus d’amplification

du mouvement. On se rassemble un samedi de façon à ce que les familles et le

secteur privé puissent eux aussi défiler, sans perdre une journée de salaire.

Succès garanti. Puis on refixe une journée de grève et, selon l’ampleur de

celle-ci, on passe à la grève reconductible, etc. On tient, en tous cas, le

gouvernement sous cette menace avec une démonstration irréfutable: chaque

tentative de réforme, qui a suscité une protestation forte dans la rue, s’est

achevée par l’échec électoral des promoteurs de la réforme.


C’est la séquence 1984: 2

millions de personnes de Versailles à Paris contre le service public unifié de

l’éducation; 1986: François Mitterrand contraint à une première cohabitation,

celle-là avec Jacques Chirac; 1995: la paralysie du pays contre la

réforme des régimes spéciaux de retraite; 1997 : la géniale dissolution

initiée par Chirac et Villepin, qui installent Lionel Jospin au gouvernement.

On pourrait ajouter 2006 et les manifestations contre le CPE, principal fait

d’armes de Dominique de Villepin et la victoire de l’homme de la «rupture» avec

le chiraco-villepinisme, à savoir Nicolas Sarkozy.


Dans ce scénario, en tous cas,

si les cortèges s’amplifient, si la contestation se radicalise, l’étape 2 du quinquennat de Nicolas

Sarkozy s’engage sous la contrainte, dans un contexte de crise qui ne pourrait

bien sûr que faciliter l’alternance. En sachant que, dans ce cas de figure, la

réforme elle-même, mais aussi les principaux syndicats qui savent qu’elle est

indispensable, et le Parti socialiste, qui serait plutôt heureux de retrouver le pouvoir sans avoir

à affronter la question des retraites, seraient aussi perdants.


Scénario n°2


S’appuyant sur le

fait que l’opinion admet la nécessité de la réforme, même si elle trouve

celle-ci injuste, acceptant de valoriser les concessions faites comme autant de

gains obtenus par les manifestants, la réforme passe. Le Parlement joue son

rôle et, entre une majorité radicale et des manifestants nombreux, le

gouvernement parvient à donner l’idée que, sans céder sur l’essentiel, il a

concédé ce qui pouvait l’être.


Nous sommes alors fin octobre et

Nicolas Sarkozy peut engager la phase ultime de son quinquennat. Remaniement,

nouveau gouvernement, nouveaux départs: une équipe de droite au sein de

laquelle l’aristocratie chiraquienne a repris toute sa place, et, sur le fond,

un retour au centre avec la création d’un risque «dépendance» (à moi les

seniors!). Dans ce schéma, nous restons dans la ritualisation de la

protestation, l’opinion est globalement hostile mais résignée, jouant le jeu

d’une protestation à la fois nécessaire et inutile. En attendant bien sûr de

solder les comptes, comme dans toute bonne démocratie, en 2012.


Quelques remarques, sans revenir

sur le fond de la réforme elle-même


1 – Comme de coutume, dans le

processus de construction-déconstruction qui le caractérise, Nicolas Sarkozy

s’est désarmé lui-même. Avant l’été, tout paraissait devoir tourner autour de

l’art et la manière de faire passer la réforme des retraites. Après l’été, et le

trop fameux discours de Grenoble, voilà le Président et son gouvernement encore

plus affaiblis dans l’opinion. Et surtout, avec une partie des Français,

irrités, énervés, colérisés, moins par le discours sécuritaire du chef de

l’Etat que par ses tristes ornements idéologiques au nom de sa recherche d’un

électorat populaire dont la droite craint qu’il ne gonfle de nouveau les voix

du Front national.


Il est clair, en effet, que les

Français ont tout lieu d’être exaspérés par une insécurité que la une des journaux

nous rappelle quotidiennement. Mais une bonne partie du pays n’est pas prête,

heureusement, à rallier le mot d’ordre fondateur du Front national, à savoir le

lien entre immigration et délinquance
et est encore moins prête à accepter

l’amalgame «gens du voyage/roms», la politique du chiffre à l’encontre des Roms

et les manipulations autour de la déchéance de la nationalité.


Au lieu d’avoir présenté un

profil plus consensuel, le temps d’obtenir la réforme des retraites, Nicolas

Sarkozy a, comme toujours, choisi de tout faire en même temps: les retraites,

mais aussi la recherche d’arêtes idéologiques, de clivages propres à ses yeux à

ressouder l’électorat de la droite. Il va bien sûr jouer bientôt la partition

du capitaine courageux, capable, au milieu des protestations, de tenir son cap.

Mais il aborde cette phase avec des faiblesses dont il aurait pu faire

l’économie.


2 – L’opposition, dans ce

contexte, engrange bien sûr.
Mais elle a pourtant tort de ne pas concéder sur

l’essentiel, à savoir l’impossibilité d’éviter de repousser l’âge légal comme

élément clé du financement du système de répartition. Elle prétend, dans ce

domaine comme dans d’autres, «faire payer les riches» et en appeler à l’impôt.

Mais, outre que l’impôt contredit le fondement même du système de répartition,

on ne pourra pas, si la gauche revient au pouvoir, lever des impôts pour

financer toutes les autres promesses qui figurent dans le catalogue qu’a

présenté Pierre Moscovici
–augmentation du smic, des petites retraites,

création d’une allocation pour les jeunes, d’une allocation dépendance, ré-embauche de fonctionnaires, etc.


Dans l’état connu des finances

publiques, il faudra faire des choix et on ne peut pas prétendre tout régler

par ce seul slogan. Mais surtout, une fois de plus, en France, l’opposition

favorise un consensus anti-jeunes. Aux jeunes, dont les conditions d’études

sont déjà difficiles, on retarde au maximum leur entrée sur le marché du

travail. Et lorsqu’ils y entrent, ils ont, si l’on suit l’opposition et si l’on

rétablit la retraite à 60 ans, comme seule perspective de payer beaucoup plus

que leurs aînés pour financer les retraites de leurs ainés.


Car, dans notre système de

répartition, tel qu’il est, il n’y a pas d’autre issue: les actifs

d’aujourd’hui paient pour les retraités d’aujourd’hui. Ces derniers sont de

plus en plus nombreux. Et ils vivent de plus en plus longtemps. Il faudra donc

que les jeunes acceptent de payer davantage pour ces retraités-là, qu’ils

acceptent en outre une charge fiscale nécessairement plus lourde, alors même

qu’ils ont été victimes d’un consensus national. Ne sommes-nous pas le champion

toutes catégories du chômage des jeunes! N’en jetez plus, la coupe est pleine:

c’est la jeunesse qui devrait donc

être dans la rue, mais pour des raisons inverses de celles qui ont conduit près

de 3 millions de personnes dans la rue le 7 septembre.


3 – Ce qui s’est passé le 7

septembre
, et ce qui se passera lors des prochains rassemblements, va fortement

influencer le rapport des forces politiques dans le pays. Pour le moment, le

pays est majoritairement anti-sarkozyste. Si ce climat perdure, la gauche

gagnera. Mais elle est minoritaire aux présidentielles. Elle aurait donc tout à gagner à y

réfléchir dès maintenant en sachant qu’au moment du vote, une majorité de Français

récusera celles et ceux qui persisteraient à lui promettre que, dans ce

contexte, on peut encore raser gratis…


Jean-Marie Colombani


Photo: A Nantes, le 7 septembre 2010 durant la manifestation contre la réforme des retraites. REUTERS/Stephane Mahe


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