A 42 ans, il prépare sa reconversion dans le «biz». Comme si
son avenir en robe noire était d'ores et déjà perdu. Me Karim Achoui, avocat
star qui dérange, prévient sur son blog de son «come-back»,
mais annonce une «nouvelle carrière dans
la presse» et la production cinématographique. Il faut dire que depuis sa
condamnation en septembre 2008 par la cour d'assises de Paris à sept
ans ferme de prison pour complicité dans l'évasion de son ancien
client, le braqueur Antonio Ferrara, de la prison de Fresnes le 12 mars 2003,
l'homme risque très gros.
Jugé en appel pour les mêmes faits à partir du 31 août, en
cas de nouvelle condamnation, c'est tout simplement la mort professionnelle qui
attend celui qui n'a déjà plus le droit d'exercer et qui a réchappé à une
tentative d'assassinat en juin 2007.
Mauvaise réputation
Le dossier contre Karim Achoui est pourtant assez mince.
Pour l'accusation, c'est par son intermédiaire qu'aurait été donné le «top
départ», la veille de l'évasion, lors d'une visite d’un de ses collaborateurs à
Ferrara, au parloir. Ce serait lui aussi le fameux «baveux» –l'avocat, en
langage voyou– dont parlent plusieurs membres du commando sur des écoutes
téléphoniques, avant et après l'attaque. Des suspicions qui n'ont jamais pu
être prouvées durant l'instruction et lors du procès en première instance.
A défaut de preuves, ce sont surtout sa réputation et son
«style» qui le condamnent d'avance aux yeux de la justice et surtout de la
police. Me Achoui agace. Toujours tiré à quatre épingles, précieux, hautain et
volontiers provocateur, il énerve beaucoup de monde et semble adorer cela.
Luxe et mélange des genres
Ce fils de nourrice et d'ouvrier, né à Boulogne-Billancourt,
aime afficher sa réussite. Cheveux crantés, costumes et chaussures grand luxe,
diction ampoulée et regard de braise, il joue de son image d'«avocat du milieu».
Une image forgée au cours de la décennie en défendant plusieurs figures du
banditisme français.
Après des débuts chez Jacques Vergès –autre avocat sulfureux,
passé maître en la matière– il s'associe avec Jean-Marc Florand et multiplie
les affaires de sectes, mais défend aussi l'innocent Patrick Dils. Mais c'est
avec les grands voyous qu'il va se faire un nom à partir des années 2000.
Spécialiste du vice de procédure, il fait sortir de prison Marc Hornec, un des
trois frères Hornec,
clan de gitans sédentarisés à Montreuil et soupçonnés d’être «parrains» en
région parisienne. Au même moment, il obtient un non-lieu pour Michel Lepage,
figure de la banlieue Sud dans le trafic de stupéfiants.
Sa réputation est plantée et son numéro circule vite dans et
hors les murs des prisons. Me Achoui devient l'avocat de Nordine
Mansouri, surnommé «la Gelée» par la police en raison de l'état supposé
de son cerveau. Puis d'Antonio Ferrara, le
gamin de cité de Choisy-le-Roi, fils de pizzaiolo italien, devenu braqueur de
fourgons blindés, roi de la belle et légende de la voyoucratie.
Quatre balles à bout portant
A l'image de ses clients, Karim Achoui mène grand train.
Cabinet quai Voltaire, puis boulevard Raspail, il défend des people comme Jamel
Debbouze, Karl Zéro, Richard Gasquet... Soirées dans les palaces et les grands
restaurants, champagne et luxe, les policiers en charge du grand banditisme,
souvent ulcérés par les victoires judiciaires de l'avocat, le soupçonnent de
franchir fréquemment la ligne blanche.
Les ennuis commencent pour lui à partir de 2005. Mis en
examen dans une affaire d'extorsion de fonds, il est placé en garde à vue deux
ans plus tard pour blanchiment. Il est également condamné pour «faux», accusé
d'avoir utilisé la signature de son ex-femme pour monter une affaire
commerciale.
Le 22 juin 2007, on lui tire quatre
balles à bout portant devant son cabinet. Salement touché, il en
réchappe miraculeusement. Le 22 juillet dernier, le pilote de la moto depuis laquelle
on a tenté de l'abattre a été mis en examen. Celui que l’on soupçonne d’être le
tireur, un petit voyou francilien, pourrait être lié aux forces de l'ordre.
C'est en tout cas la thèse que défend depuis le début Karim Achoui, accusant la
police judiciaire d'avoir voulu l'éliminer. Son livre autobiographique Un
avocat à abattre est entièrement dédié à cette cause. Côté policier, on
penche plutôt pour un règlement de compte ou un client doublé par l'avocat qui
a voulu se faire justice lui-même. «Cela
ne pouvait finir que comme ça. Dans le sang», dira, fataliste, un enquêteur
après la tentative d'assassinat.
Caviar et cinéma
Loin d'être refroidi, Me Achoui ne cesse d'en rajouter dans
le mélange des genres et dans le tape-à-l'œil. En septembre 2008, alors qu'il
attend le verdict avec les autres accusés du procès Ferrara dans un duplex à
l'intérieur du palais de justice de Paris –la loi interdit de quitter les lieux
durant un délibéré– l'avocat régale la galerie, faisant monter foie
gras, caviar, huîtres, sushis et champagne pour tout le monde, gendarmes
compris. Après les agapes, il s'enfile en DVD 36
quai des Orfèvres, Truands
ou American Gangster, autant
de films traitant de la frontière fragile entre flics et voyous.
Libéré après paiement d'une
caution de 50.000€ en avril 2009, il file aussitôt se ressourcer au
Bristol, un des plus chers palaces parisiens, histoire de replonger «au
cœur du pouvoir» comme il le dit lui-même au Nouvel Observateur.
Désormais, Karim Achoui voit encore plus loin et rêve sa vie sur grand écran.
Sur son blog, il dit souhaiter adapter son autobiographie au cinéma. «A ce titre, j'aimerais voir dans le rôle
principal le très talentueux Tahar Rahim, le héros de Un prophète de Jacques Audiard», explique-t-il, en toute simplicité.
Bastien Bonnefous
Photo: Karim Achoui en
octobre 2008. REUTERS/Charles Platiau
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire