Au Niger, les intérêts stratégiques de
la France sont en jeu. Les mines d’Arlit produisent l’uranium indispensable au
fonctionnement des centrales nucléaires d’EDF qui fournissent les trois quarts
de l’électricité consommée dans l’Hexagone. Mais pour se prémunir des aléas
plus géopolitiques que géologiques, le groupe français Areva, numéro un mondial
de l’extraction d’uranium (8.623 tonnes en 2009 dans le monde) a diversifié ses sources. Il opère aussi au Canada, au Kazakhstan, en
Namibie…
Cette diversification se justifie
d’autant plus que, selon les statistiques établies par Bertrand Barré,
conseiller scientifique du groupe, les réserves d’uranium au Niger ne
représentent que 3% des réserves mondiales, contre 24% pour l’Australie, 17%
pour le Kazakhstan, 13% pour le Canada… Mais la place du Niger dans l’univers
d’Areva s’en trouve modifiée et les relations entre Paris et Niamey passent
par des épisodes d’extrême tension.
Le Niger n’est plus la carte maîtresse d’Areva
En 2008, le gouvernement nigérien a
accusé Areva de soutenir la rébellion touareg et prévenu les autorités
françaises qu’il serait dorénavant beaucoup plus attentif aux propositions de
groupes concurrents dans l’extraction d’uranium, notamment chinois. Ainsi, alors
que les mines au Canada sont devenues les principaux gisements d’extraction
d’Areva et que montent en puissance Kazakhstan et Namibie, la part des mines du
Niger va encore reculer.
Cette situation ne semble pas être
totalement étrangère aux conditions de l’enlèvement sur le site d’Arlit de cinq
Français, un Malgache et un Togolais, opération revendiquée par Aqmi (al-Qaida au
Maghreb). Compte tenu des intérêts stratégiques de la France sur place, on peut
être stupéfait d’apprendre que la surveillance du site n’était assurée que par
des vigiles non armés dans un Sahel où le risque terroriste existe et où des
enlèvements sont régulièrement perpétrés. Certes, l’accord négocié par Paris et
Niamey à la suite des tensions de 2008 prévoit que les sites d’Areva au Niger
sont sous la protection de l’armée et de la gendarmerie nigériennes. Mais manifestement, compte tenu de la
fraîcheur des relations qui s’est installée entre les deux capitales, cette
protection d’intérêts français n’est plus la priorité des autorités de Niamey.
Protection sous condition, avertissement sans suite
D’autant que le Niger manque de moyens:
dans une lettre à Areva datée du 1er septembre, le capitaine Seydou
Oumanou, préfet d’Arlit, soulignait que «la situation sécuritaire reste hélas
précaire dans la région d’Agadez en raison des actes de banditisme de plus
en plus fréquents. Cette situation est malheureusement en train de se dégrader
davantage particulièrement dans le département d’Arlit. (…) Vous comprendrez
que dans ces conditions la menace du groupe Aqmi est à prendre au sérieux car
un tel contexte est favorable à toutes les actions crapuleuses».
Insistant sur le manque de moyens à sa disposition, le préfet «exhortait» la direction du groupe à
créer une «dynamique» et de fournir des «contributions en moyens matériels et
financiers nécessaires». En clair, le préfet d’Arlit demandait à Areva de
contribuer au financement de sa protection par l’armée.
La direction d’Areva a bien pris
connaissance de cette lettre, estimant qu’elle «s'inscrit dans
le cadre du dialogue et de l'évaluation permanente des moyens financiers et
matériels qu'Areva met à disposition des autorités gouvernementales du Niger». Les choses en sont restées là, malgré
la menace créée par la présence dans la région, comme indiqué dans la lettre.
Car à la suite des rencontres les 8
et 10 septembre avec les autorités militaires et administratives, Areva a
considéré que «ni le préfet d'Arlit, ni les autres autorités n'ont
communiqué d'information particulière».
Des Touaregs hors de contrôle
Conseillé par la société EPEE, spécialisée dans
l’assistance des entreprises à l’étranger et la protection de leur patrimoine, Areva
s’assure les services de sociétés locales de gardiennage pour assurer la
sécurité sur les sites. Celles-ci emploie des Touaregs, ce qui avait permis au
gouvernement de Niamey d’accuser le groupe de soutenir la rébellion au moment
des soulèvements dans toute la zone sahelienne.
Aujourd’hui, la rébellion est terminée. L’Algérie a
beaucoup travaillé à l’abandon de la violence. Même le président libyen Khadafi
qui, en 2006, militait pour la création d’une Ligue populaire et sociale des
tribus du Grand Sahara et voulait réunir à terme tout le Sahara en un État
fédéral, a appelé au dépôt des armes. Celui-ci est intervenu en 2009 à
l’occasion d’une réunion des tribus touaregs du Mali, du Niger et de la Libye,
rappelle le journaliste engagé Saâd Lounès. Pour faire bonne mesure, le Niger a
décrété l’an dernier une amnistie pour les rebelles touaregs.
Toutefois, les regroupements de population continuent
de poser problème. La majorité des tribus touaregs cherchent maintenant à
acquérir une certaine autonomie régionale, mais leur situation s’est dégradée.
«Chacun y a contribué en utilisant les divisions et les intérêts à court terme
des uns et des autres», commente un diplomate qui fut en poste dans la région. Dans
ce contexte, les fondements d’une culture fortement imprégnée par le banditisme
armé demeurent très présents. Et certains jeunes adultes de ces tribus attirés
par l’argent facile, ont vite fait de choisir la participation à des trafics de
toutes natures à travers le Sahel.
Cigarettes, carburants, armes et enlèvements, le
Sahara devient une plaque tournante parcourue par des bandes armées. Les otages
entrent dans cette logique de monnaie d’échange. C’est ainsi que s’établissent
des axes de convergences avec Aqmi, que la surveillance des personnels d’Areva
s’est révélée défaillante et que, d’après Le Monde, le président de la société
EPEE a pu parler de «trahisons internes». Mais pour les Touaregs eux-mêmes qui
peuvent offrir à Aqmi l’apport logistique dont les islamistes peu nombreux sur
place ont besoin, les enjeux ont changé. Cette évolution par ailleurs très
récente n’a pas été suffisamment perçue et intégrée par les sociétés
nigériennes de gardiennage et par les responsables des systèmes de sécurité
d’Areva.
Pas de dérive intégriste chez les anciens rebelles
Pour autant, les spécialistes du Sahel ne perçoivent
pas –à ce stade– de dérive des Touaregs vers l’islamisme. «Il n’y a pas
d’islamisme, pas d’intégrisme chez les Touaregs, confirme Thierry Tillet, maître de conférences à l'Université de Grenoble et
spécialiste de l’histoire saharienne. Mais il existe un problème
d’intégration des Touaregs parce qu’ils sont craints par le gouvernement
nigérien qui est du sud.» Cette
fracture a de lourdes conséquences: «Le problème posé par Aqmi pourrait
être réglé par les Touaregs, mais le gouvernement ne veut pas leur donner des
armes, et les Touaregs disent qu’ils ont rendu les leurs en mettant fin à leur
rébellion.»
L’Europe en retard dans l’antiterrorisme au Sahara
La France a aussi sa part de
responsabilité. Ses centres d’intérêts se détournent des pays d’Afrique
occidentale; au Niger, la Chine prend de plus en plus la place qu’elle occupait
autrefois. Et dans le cadre du Plan Sahel contre le terrorisme qui associe la
Mauritanie, le Mali et le Niger, elle reste très en retrait pour apporter son
soutien tout comme les autres pays de l’Union européenne, commente le journal
algérien Le Temps. Au point que, dans le cadre de leur politique globale, les
Etats-Unis se révèlent aujourd’hui plus présents que les pays européens pour
mettre en place une association transsaharienne antiterroriste. Pour la société
EPEE, «il est temps que ce plan devienne réalité»: depuis sept ans, on
compte pas moins d’une soixantaine d’otages enlevés dans la zone du
Sahel.
Gilles Bridier
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