Cette première conférence de presse du président
de la BCE, ce jeudi, sera très suivie. Et pas facile pour Jean-Claude Trichet.
Il est certes habitué à jouer les équilibristes, mais pour la troisième rentrée
depuis le début de la crise, l’exercice atteint des sommets de difficulté. Car
le cadre économique général s’est brouillé au cours de l’été. Les Etats-Unis,
qui paraissaient avoir renoué avec la croissance, replongent dans le marasme. La
peur du «W», qui impliquerait une nouvelle récession, s’installe. Si elle ne se
réalise pas, c’est le spectre d’une croissance très lente, à la japonaise, qui
hante les économistes.
La croissance des pays européens, de son
côté, présente des divergences énormes. D’un côté, l’Allemagne galope à 2,2%
(croissance du deuxième trimestre 2010), grâce à la poussée de ses exportations
vers l’Asie, suivie par un certain nombre de pays. De l’autre, des pays encore
en pleine crise de la dette publique, comme la Grèce ou l’Espagne, subissent
une récession très dure et doivent parallèlement remettre leurs finances
publiques en ordre. Comme le souligne l’économiste Patrick Artus dans une
récente étude Natixis, «un important
conflit autour des orientations de politiques économiques s’annonce entre ces
groupes de pays». Ce sera encore pire en termes de politique monétaire.
Pourtant, le fait d’avoir calmé les craintes des investisseurs sur la situation
des «Pigs», les pays d’Europe les plus endettés (Portugal, Irlande, Grèce,
Espagne), avait constitué au cours de l’été un véritable exploit. Mais les taux
d’intérêt demandés à ces pays fragiles pour leur prêter des capitaux se tendent
de nouveau. Pire, les agences de notation, que chacun s’accorde à vouloir
réglementer sans le faire, menacent de nouveau: elles ont dégradé la note de
l’Irlande, et l’agence Standard&Poor’s est même allée jusqu’à menacer les
Etats-Unis, dont le déficit public, il est vrai, explose.
Tenir en équilibre
Autant dire que, même si l’Asie se porte
bien, cette nouvelle phase de la crise paraît encore plus délicate à gérer, si
possible, que les précédentes. Les autorités économiques et monétaires doivent
louvoyer entre le risque d’étouffer une croissance fuyante et celui de
mécontenter des investisseurs qui, après avoir subi un séisme, ne veulent plus
courir de risques. Jean-Claude Trichet va ainsi devoir conserver un équilibre
précaire entre des pays qui vont avoir besoin de la plus grande souplesse
monétaire pour conserver un minimum de croissance et ceux qui, parce qu’ils ont
renoué avec la croissance, voudraient voir la banque centrale européenne
revenir à une politique monétaire plus classique. Il va donc une nouvelle fois
se retrouver au centre d’un conflit entre pays à forte compétitivité –comme l’Allemagne–
et pays à faible compétitivité, qui, outre les Pigs, comprennent aussi la
France et l’Italie. Une situation plus qu’inconfortable, même si le président
de la BCE explique avec constance qu’il ne voit pas de différence entre la
situation de sa banque centrale et celle des Etats-Unis, où il peut aussi arriver
que certains Etats soient en récession tandis que d’autres sont en croissance.
En théorie, il a bien sûr raison. Sauf que le
marché unique existe réellement aux Etats-Unis et beaucoup moins en Europe: il
est plus facile à un ouvrier de l’Ohio de partir travailler en Virginie qu’à un
Italien d’en faire autant vers l’Allemagne. Surtout, le budget fédéral
américain représente des sommes à redistribuer autrement plus considérables que
le 1% du PIB européen dont est doté le budget de la Commission… Une nouvelle
fois, la relance de l’Europe économique et politique sera au cœur du problème,
alors que l’entente franco-allemande est trop faible pour que le processus
reparte vraiment.
Finalement, pour pallier tous ces dangers de
divergence, on ne peut qu’espérer que la croissance allemande soit contrainte
de ralentir un peu. Ce n’est pas certain, mais c’est possible: la Chine cherche
à freiner son rythme de croissance et à transformer son modèle en favorisant la
consommation des ménages. Auquel cas elle pourrait être moins gourmande en
biens importés d’Allemagne. L’écart enregistré en Europe serait alors moins
fort, ce qui permettrait à Jean-Claude Trichet de passer ce mauvais cap. Il est
certes déplorable de souhaiter le ralentissement de l’économie d’un partenaire
économique qui est aussi le premier client de la France, car cela signifie que
celle-ci aussi verra sa croissance ralentir. Mais ce n’est peut-être qu’à ce
prix qu’on obtiendra un rééquilibrage dans la zone euro.
Marie-Laure Cittanova
Photo: Jean-Claude Trichet, en juin 2010. REUTERS/Thierry Roge
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