La
vie ressemble décidément à Desperate
Housewives, la série américaine: dans les deux cas, il faut s’y méfier des
bonnes copines. Une langue de vipère n’est jamais loin et les crêpages de
chignons y sont légion. C’est ce que doit se dire Naomi Campbell, le
célébrissime mannequin noir, devenue figure de proue de la jet-set, à voir
enfler les effets négatifs de sa récente audition devant le Tribunal Spécial
pour la Sierra Leone (TSSL), qui tente toujours, depuis janvier 2008, de juger Charles Taylor,
l’ancien dictateur du Libéria, poursuivi –parmi onze chefs d’accusation– pour
crimes de guerre et crimes contre l’humanité. (à lire, Les «diamants de sang”
nourrissent les régimes africains corrompus», en
accès payant)
Flirt, ou pas flirt?
Car
ne se pose plus à propos de Naomi qu’une seule question, lancinante, dans la
presse «people» anglaise et américaine: «la panthère noire» a-t-elle, oui ou
non, «flirté» avec Charles Taylor, ce fameux 25 septembre 1997, à Pretoria,
quelques heures avant que deux émissaires du président libérien ne viennent
frapper à la porte de sa chambre d’hôtel pour lui remettre de petits diamants
bruts? Autrement dit, a-t-elle, d’une certaine manière, ne serait-ce qu’en
laissant respirer le charme de sa sculpturale silhouette, attiré à elle les
diamants, consciente que le petit homme replet, assis à côté d’elle, boucher
sanguinaire mais joli cœur, était incapable de résister à la beauté d’une
femme, et que généralement, parole de gotha, qui sait ces choses-là, il
assortissait son empressement du cadeau de quelques pierres précieuses?
C’est
ce que est venue affirmer, le 9 août, devant la cour réunie à La Haye, Carole
White, l’ancien agent du top model. Oui, Naomi avait «doucement flirté» avec
Charles Taylor durant le dîner philanthropique organisé par Nelson Mandela en
faveur de sa fondation pour les enfants (NMCF). Elle en est certaine. Carole
White était du dîner. Ainsi que l’actrice Mia Farrow et le chanteur Quincy
Jones, des sportifs et de simples milliardaires. Naomi était resplendissante,
moulée dans un long fourreau de soie blanche, la gorge rehaussée d’une croix en
diamants brillants, presque blancs aussi. Le repas avait été très gai. L’ancien
président sud-africain ne ressentait pas la fatigue, ce soir-là.
Taylor le barbare
Seule,
Graça Machel, sa future épouse, veuve de l’ancien président du Mozambique,
paraissait préoccupée. Jusqu’au bout, elle avait tenté de s’opposer à la
présence du tout nouveau président libérien, rappelant les soupçons pesant
depuis des années sur cet
aventurier américano-libérien, tant à Monrovia qu’à Freetown: viols,
assassinats, maltraitance d’enfants, contraints de former ces milices
«d’enfants-soldats» qu’on envoyait à l’assaut des troupes gouvernementales, drogués
jusqu’au yeux… Mais Nelson Mandela avait maintenu son invitation. Charles
Taylor achevait par Pretoria une tournée des capitales de l’ouest africain, il
était à Johannesburg depuis quelques jours, et une courtoisie toute
panafricaine, chère à l’ancien leader du l’ANC, commandait qu’il lui fut fait
bonne figure.
Après
le dîner, toujours à en croire la déposition de Carole White, le tyran libérien
avait demandé à Naomi où il pouvait lui faire porter des diamants, preuve que
c’était bien, entre eux, le sujet de conversation de la fin de soirée. Dans la
nuit, à l’hôtel où résidaient les invités, deux hommes s’étaient présentés à la
porte de la chambre du mannequin. «Ils
ont sorti un sac miteux, et l’ont donné à Mme Campbell et ont dit: “Voici les
diamants”.» Perfide, Carole White a ajouté: «Elle me les a montrés, elle était assez déçue car ils n’étaient pas
brillants.» Bien sûr, toutes les parties du procès ont noté que l’ancienne
partenaire de Naomi, cofondatrice de l’agence Premier Model Management, est en
guerre ouverte contre son ex-vedette des podiums. Elle la poursuit même pour
rupture de contrat devant les tribunaux londoniens. Evidemment, elle aurait
quelque intérêt à laisser entendre qu’en septembre 1997, en Afrique du Sud,
Naomi était une allumeuse aussi intéressée qu’écervelée.
Mia
Farrow n’est pas allée aussi loin dans la charge. Mais tout de même. Elle ne
sait plus si le top model était ou non assis à côté de Charles Taylor, ni si, à
table, il avait été discrètement question de diamants. Elle situe ses souvenirs
le lendemain matin, au petit-déjeuner. Entendue par la cour, le 9 août,
l’actrice américaine, qui a toujours milité en faveur des populations
africaines, a
expliqué que Naomi était arrivée, la mine gourmande, et s’était tout de
suite vantée d’avoir reçu un cadeau du président libérien. «Elle a dit qu’elle avait été réveillée dans la nuit. Des hommes ont
frappé à sa porte, ils avaient été envoyés par Charles Taylor, et ils lui avaient
donné un énorme diamant.»
De
son côté, Carole White, à la barre, a encore «grossi» un peu l’offrande faite:
c’est un «lot de cinq ou six pierres,
dont plusieurs gros diamants» que son ancien mannequin lui aurait montré.
Puis, Naomi avait, à l’en croire, débouché des Coca du mini-bar pour «les deux gardes du corps libériens». «Avant d’aller se coucher.»
Des potins à la barre
En
1997, cette histoire, très vite répercutée, avait alimenté les potins du
show-biz et des milieux de la mode internationale. L’irrésistible Naomi
Campbell s’était vue offrir «un énorme diamant»! Ou «plusieurs gros diamants» –on
n’était pas sûr du nombre, ni de la grosseur. Tout le monde avait simplement
pensé que cette rocambolesque aventure entrait bien dans la destinée flamboyante
du mannequin anglais: sa beauté, son tempérament de femme libérée, son statut
de sex-symbol de l’hyper-luxe et de la fête nocturne, entre Miami Beach et le
VIP-Room, la boîte-phare de Saint-Tropez, appelaient presque naturellement de
tels présents. L’anecdote était amusante. Certainement pas dramatique. Dans le
monde que fréquentait assidûment Naomi, le don de pierres précieuses est une
pratique assez courante, à ranger parmi les préliminaires sexuels ou
sentimentaux. Et puis, ça tient mieux que les fleurs. Personne, dans la
jet-set, n’avait donc pensé à mal. Charles Taylor y était un inconnu. Comme ses
«diamants du sang». A peu près comme ses crimes, pourtant de plus en plus
nombreux, entre le Liberia et la Sierra Leone.
Un
jour, cependant, l’avocate générale du TSSL, l’Américaine Brenda Hollis, a
entendu parler de la soirée de Pretoria, des deux gardes du corps, à la porte
de la chambre, et du sac contenant les diamants. La magistrate se moquait bien
de savoir si le top-model avait pu «flirter» avec l’accusé. Lui importait
surtout de pouvoir conforter la preuve que le chef de guerre, devenu président
du Liberia, vendait ou échangeait des gemmes contre des armes, destinées au RUF
(Front révolutionnaire uni), mouvement rebelle, particulièrement violent, du
Sierra Leone, qu’il commandait en sous-main. Après une décennie de guerre au
Liberia, qui avait entraîné la mort de 400.000 civils et provoqué la
déplacement de deux millions de personnes, Charles Taylor avait exporté
l’horreur dans le pays voisin. Son objectif, selon l’accusation: les richesses
diamantifères du Sierre Leone.
L’équipe
d’enquêteurs avait établi que, fin septembre 1997, il s’était en fait rendu à
Johannesburg pour des achats d’armes clandestins. Certains de ses
collaborateurs et de ses gardes du corps avaient été retournés, qui avaient
raconté la soirée de charité. Ainsi savait-on que deux hommes étaient retournés
à Johannesburg, distante d’une soixantaine de kilomètres, pour y prendre les
pierres de Naomi, avant de regagner l’hôtel de Pretoria, et d’y frapper, fort
tard, à la porte de la jeune femme.
Depuis
le début du procès, en 2008 –le dictateur, en fuite, avait été arrêté au
Nigeria, le 29 mars 2006–, l’accusation connaissait le schéma criminel à
relater devant la Cour de justice. Restait à présenter le témoignage du top-model,
qui avait tenu quelques-uns de ces «diamants du sang», au creux de sa jolie
main. Si Mia Farrow et Carole White, quoique pour des raisons différentes,
s’étaient empressées d’accepter l’idée de se rendre à La Haye, pendant plus
d’un an, Naomi s’est défilée.
Un procès à glisser dans son emploi du temps
Trop
occupée. Calendrier chargé. Défilés, fêtes, contrats publicitaires. New York,
Londres, Monaco. Son nouveau fiancé, le milliardaire russe Vladimir Doronin,
qui voulait bien l’épouser, mais qui était déjà marié, ce qui occasionnait déjà
bien des désagréments avec la presse «people». D’autres dîners, caritatifs,
ceux-là, car Naomi, ces dernières années, s’était mise aussi à courir le monde
pour les causes les plus nobles. Alors, au printemps 2010, avait proposé Brenda
Hollis, en clôture de la centaine de témoignages d’anciens soldats du Liberia
et de la Sierra Leone? Non, pas au printemps, avait répondu Naomi. Au
printemps, le 25 mai, elle devait fêter
son 40e anniversaire à l’Hôtel du Cap, à Antibes. Même Jennifer Lopez
avait promis de venir. Au programme aussi, balade en yacht, au large de Cannes,
livrée au Festival de cinéma…
L’avocate
générale du TSSL s’est finalement agacée. Elle a menacé Naomi Campbell,
mannequin de son état, d’une inculpation pour «parjure». La Cour, à La Haye,
était disposée à infliger quelques mois de prison ferme à cette femme en vue.
Même au TSSL, composé de juges du Sierra Leone, «dépaysés» aux Pays-Bas, depuis
2007, pour des raisons de sécurité, on savait que le top model, au caractère
très impulsif, avait déjà été poursuivi, à New York ou à Londres, pour des
agressions –une employée de maison, un chauffeur de taxi, un commandant de bord
de la British Airways, des policiers… Quand elle a les nerfs en pelote, Naomi
lance facilement ce qui lui passe sous la main. Avec un parjure, on frisait la
récidive.
L’impétueuse
a finalement obtempéré. Sa chevelure de jais sagement retenue, ses formes
bridées par un respectable tailleur crème, Naomi s’est présentée, le 5 août,
devant la Cour et un aréopage de journalistes. De mauvaise grâce, évidemment.
En gratifiant le tribunal d’un récit minimaliste, vide de tout glamour. Avant
de venir à Pretoria, par affection pour le vieux président sud-africain,
qu’elle vénère, elle ignorait tout du Liberia, de la Sierre Leone, et du prix
versé en vies humaines pour les «diamants du sang». Elle aurait été bien
incapable de situer les zones de guerre sur la carte de l’Afrique.
Elle
connaissait déjà la teneur des déclarations à venir de ses deux «copines»,
Carole et Mia, qui allaient être citées à comparaître après elle. Tout le
milieu en faisait ses gorges chaudes. Comme la presse «people». Le match à
distance promettait. Bien coaché par son agence de communication, Naomi s’est
employée à éloigner toute idée de «flirt» avec Charles Taylor. D’ailleurs, elle
n’était même pas assise à côté de lui. Mais entre Nelson Mandela et Quincy
Jones. La place d’honneur. C’était normal. Pendant le dîner, il a été question
de la collecte de fonds nécessaire à la NMCF, l’œuvre pour les enfants.
Tout ce qui ne brille pas...
La
suite, a insisté Naomi, est toute bête. Pendant la nuit, elle a été réveillée
par deux hommes, qui ont frappé à sa porte. Ils lui ont remis une petite
bourse, presque sans rien dire. Surtout sans prononcer le nom de Charles
Taylor. Elle est allée se recoucher. Ce n’est que le lendemain qu’elle a ouvert
la bourse, découvrant de petites pierres «à
l’aspect sale». Vaguement déçue, ou choquée, Naomi. «Je reçois des cadeaux tout le temps,
a-t-elle ajouté, à toutes les heures de
la nuit; c’est normal pour moi de recevoir des cadeaux.» Bon, là, elle s’oubliait
un peu. Elle dérapait. Filait se réfugier psychologiquement dans les usages de
la jet-set, qu’elle maîtrisait mieux que les comparutions devant la justice pour
crimes contre l’humanité. «J’ai l’habitude de voir des diamants brillants, dans
un écrin, vous savez.» Et, là, l’offrande mystérieuse ressemblait trop à de vulgaires
cailloux.
Heureusement
pour Naomi, il y a eu le petit-déjeuner. Le nom du chevalier servant a été
prononcé, par elle ou par l’une de ses deux compagnes, qu’importe. L’évidence
s’est imposée: Naomi ne pouvait pas conserver ces pierres. Elle les a remises
au directeur de la NMCF – lequel, curieusement, ne les rendues que récemment à
la police, avant de présenter
sa démission de la fondation.
Cette
vieille histoire est revenue comme un boomerang au joli visage de Naomi. Depuis
son passage devant le TSSL, elle se débat furieusement. Naomi et «les diamants
du sang». Tous ceux, dans la presse ou parmi les leaders d’opinion de la
high-society, que «la panthère noire» insupporte, se sont mis à mêler son nom à
la barbarie africaine. Un comble, s’insurge-t-elle. «Je suis une femme noire qui a soutenu et qui soutiendra toujours les
bonnes causes, en particulier en ce qui concerne l’Afrique», plaide-t-elle
à longueur de communiqué.
Elle
a engagé d’autres conseillers, et des avocats. Ce funeste dîner de Pretoria
risque de la poursuivre. Le récit de la nuit figure même en bonne place sur des
sites consacrés aux bijoux de luxe.
Les
pierres précieuses ne sont pas toujours innocentes. Mais qu’y peut-elle? Elle
l’a dit, répété: pour elle, les diamants sont brillants. C’est-à-dire honnêtes.
Inertes. D’ailleurs, quand elle a quitté le TSSL, le 5 août, elle a filé
rejoindre son fiancé, en Sardaigne, où elle était l’invitée du joillier Fawaz
Gruosi, en compagnie d’autres stars, comme Janet Jackson. Pendant la traversée
en bateau, elle a retrouvé Leonardo di Caprio, et sa fiancée, le top model
israélien Bar Rafaeli, l’acteur qui a été l’interprète de Blood Diamond,
le film sur le trafic de pierres sanglantes, en Afrique.
Philippe Boggio
Photo: Naomi Campbell lors de son audition à La Haye. REUTERS/Special Court for Sierra Leone
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