Quelle place la France
occupe-t-elle dans la hiérarchie internationale? Ce n’est pas une «super puissance»; ce n’est pas une «petite puissance», a déclaré Nicolas
Sarkozy à la 18e conférence des ambassadeurs, le 25 août (son discours est
consultable ici).
Conclusion: c’est une puissance moyenne. Mais le chef de l’Etat n’a pas employé
le terme, sans doute jugé péjoratif. Il a répété plusieurs fois une autre
expression qui distingue les principaux acteurs internationaux en «puissances reconnues» et «grands pays émergents». Là, plus de
doute, la France fait bien partie des «puissances reconnues». Il n’est pas
difficile d’en deviner la définition. Une puissance reconnue est un Etat qui
dispose de quelques attributs particuliers: l’arme nucléaire, un siège
permanent au Conseil de sécurité des Nations unies et, s’il n’est plus une
grande puissance, quelques beaux restes d’une splendeur passée.
Les «amis» émergents
La question est de savoir:
«reconnue» par qui? L’autoreconnaissance ne suffit pas. Or, ce statut de
puissance est de plus en plus contesté, notamment par le deuxième groupe d’Etats
distingué par Nicolas Sarkozy: les grands pays émergents. Le dernier exemple de
cette contestation a récemment été donné par le Brésil et la Turquie, qui ont
tenté une
méditation dans la crise du nucléaire iranien. L’accord qu’ils
s’étaient targués d’avoir trouvé avec Téhéran a été boudé
par les «puissances reconnues», mais de la part de ces dernières,
c’était plus une preuve d’impuissance que de souveraineté.
Comme il va présider l’année
prochaine le G8 et le G20, celui-ci étant précisément le forum où se retrouvent
les «puissances reconnues» et les nouveaux venus, Nicolas Sarkozy s’efforce de soigner
ses relations avec les dirigeants des pays émergents. En passant, on notera que
la Chine appartient aux deux groupes, qu’elle est la seule dans cette position
et qu’elle joue habilement de ces deux statuts.
Le président de la République
ne parvient que difficilement à ses fins. Malgré les
démonstrations d’amitié avec le Brésilien Lula ou d’autres, les
résultats se font attendre, y compris en matière de ventes d’armements dans le
cas du Brésil (des avions Rafale
qui trouveraient enfin preneurs à l’étranger). Cette proximité recherchée avec
les émergents n’a pas non plus été payée de retour lors de la conférence de
Copenhague sur le climat à la fin de l’année dernière. Nicolas Sarkozy a lancé
quelques idées pour sa présidence du G20, par exemple contre la spéculation sur
les matières premières, qui devraient plaire à ce qu’on appelait autrefois le
tiers-monde. Toutefois, l’exercice est encore plus difficile sur la scène
internationale qu’en politique intérieure. Il ne suffit pas de lancer en l’air
une multitude d’idées pour que les retombées soient au rendez-vous. Le
volontarisme a ses limites autant que ses vertus.
Un malaise grandissant
La France possède le deuxième
réseau
diplomatique du monde, après les Etats-Unis. C’est aussi l’apanage
d’une «puissance reconnue». Pourtant, du malaise qui touche l’outil
diplomatique de la France, le président de la République n’a dit mot devant les
ambassadeurs. Certes, le devoir de réserve est la règle dans ce milieu. Sauf
quelques syndicalistes, les diplomates s’expriment rarement en public. Il faut
qu’ils aient quitté leurs fonctions pour pouvoir tirer la sonnette d’alarme.
C’est qu’ont fait dans Le Monde à la veille de la conférence des ambassadeurs
trois anciens secrétaires généraux du ministère des Affaires étrangères (le
poste le plus élevé dans la hiérarchie du Quai d’Orsay). François Scheer,
Bertrand Dufourcq et Loïc Hennekine se sont inquiétés, après deux anciens chefs
de la diplomatie française, Alain Juppé (1993-1995) et Hubert Védrine
(1997-2002), des
moyens sans cesse en baisse accordés au réseau diplomatique français.
Le budget du Quai a diminué de 20% en vingt-cinq ans et les économies
continuent, alors que ce budget ne représente que 1% des dépenses de l’Etat et
0,2 du PIB. On vante officiellement, et souvent à juste titre, l’action
culturelle de la France à l’étranger, mais les trois anciens secrétaires
généraux font remarquer que la dotation des 140 centres
culturels à l’étranger est équivalente à celle de l’Opéra de Paris!
Et il ne s’agit là que de
l’aspect matériel. Le malaise touche aussi le rôle du ministère dans la
définition et la mise en œuvre de la politique extérieure. Le poids de l’Elysée
est de plus en plus pressant. Ce n’est pas une nouveauté sous la Ve République,
mais la concentration des décisions à la présidence de la République s’est
encore accentuée avec Nicolas Sarkozy.
Soyons rassurés, ce malaise
n’apparaîtra pas au grand jour quand la France présidera le G8 et le G20. Les
diplomates sont des gens trop bien élevés et trop conscients de leur mission
pour manifester quelques états d’âme que ce soit, mais si Nicolas Sarkozy, qui
ne fait pas mystère de son profond mépris pour les diplomates, veut que la
France reste une «puissance reconnue», le ministère des Affaires étrangères est
un instrument indispensable.
Daniel Vernet
Photo: Nicolas Sarkozy lors de son discours à Columbia, le 29 mars 2010. REUTERS/Lucas Jackson
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