Les professeurs de biologie demandent souvent quel est
animal qui tue le plus de gens. Leurs pauvres élèves se ridiculisent en s’écriant
«l’ours gris!», «le tigre!», «le cobra !» ou même «l’hippopotame!». La bonne
réponse, bien sûr, c’est le moustique femelle –pas de fourrure, pas de crocs,
rien qu’une aiguille hypodermique ailée. Sa longueur dépasse à peine cinq
millimètres, elle a six pattes, et c’est le vecteur de maladies le plus
efficace de tout le règne animal. C’est grâce à son odorat qu’elle nous repère,
attirée par l’acide lactique et d’autres ingrédients de notre transpiration.
Elle sent aussi le dioxyde de carbone que nous expirons et arrive jusqu’à notre
visage en remontant le sillage de notre respiration. Plus on sue et plus on
halète en la chassant, plus on l’intéresse.
La plupart ne boivent pas de sang
Son apparence n’est pas répugnante. Au contraire, sa petite
taille, ses lignes pures, la longueur de ses pattes et sa fragilité lui donnent
une certaine élégance. On serait même prêt à lui donner un millilitre de sang,
malgré la démangeaison qui accompagne sa piqûre, si on ne s’inquiétait pas de
ce qu’elle peut transmettre. Parmi les nombreux agents
pathogènes qu’un moustique peut
véhiculer, le pire est le paludisme, qui tue chaque année plus d’un
million de personnes, dont les deux tiers se trouvent en Afrique
sub-saharienne, pour la plupart des enfants de moins de 5 ans.
Tenter de donner une meilleure réputation à une telle
créature n’a pas de sens. Personne n’aime les moustiques, ni les amis de ces
insectes. Pourtant, il est injuste de dire indistinctement du mal des 2.600
espèces de moustiques déjà décrites. Parce qu’il n’y en a qu’environ 80, soit
3%, qui boivent du sang humain. Sur les 2.520 variétés de moustiques
relativement irréprochables, il y en a même une qu’on aimerait voir en
expansion: celle des Toxorhynchites,
qui mangent d’autres moustiques. A l’état de larves, les Toxorhynchites
dévorent leurs cousins, puis s’en prennent à leurs frères et sœurs, continuant
souvent à les attaquer jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un seul. Ce drame se
déroule dans une minuscule nappe d’eau qui s’accumule au creux d’un arbre ou
une petite flaque du même genre. Ces moustiques, y compris l’Aedes,
qui transmet des maladies, se sont adaptés à l’environnement industriel et se
reproduisent dans des pneus usagés. Comme le savent tous ceux qui ont essayé,
il est très difficile d’évacuer l’eau d’un pneu.
Même les moustiques qui se nourrissent de sang n’en ont pas
besoin à chaque repas. En fait, ils puisent l’essentiel de leur énergie dans
les fleurs et les plantes, auxquelles ils sont utiles en les pollinisant. Le
moustique mâle, innocent mis à part le rôle qu’il joue en produisant davantage
de femelles, se nourrit en se contentant exclusivement de nectar ainsi que de
fluides issus des plantes. Une sorte de moustique qui ne s’intéresse pas à nous
est le principal pollinisateur d’une orchidée
assez jolie, la platanthère à feuilles obtuses, qui pousse dans
les marécages des forêts de l’hémisphère nord. Un autre moustique pollinise la Platanthera
integrilabia, une espèce en voie de disparition originaire des
Appalaches.
Pourquoi tous les moustiques ne peuvent-ils pas être
végétariens? Il y a des millions d’années ou davantage, un moustique primitif,
peut-être presbyte, a pu confondre un végétal et un mammifère qu’il a piqué
accidentellement, ce qui lui a donné le goût du sang. A présent, les femelles
de ces 80 espèces dangereuses ont évolué, comme les tiques, et utilisent du
sang pour produire des œufs. Le bourdonnement décidé qu’on entend à l’extérieur
(ou à l’intérieur) d’une tente de camping et lié à la survie d’une race
animale. Le sang des mammifères contient un mélange très riche de protéines, de
fer, de graisses et de sucre qui déclenche le fonctionnement des ovaires d’une
femelle de moustique. En 90 secondes à peine, elle peut aspirer jusqu’à trois
fois son poids de sang.
Pour accomplir cet exploit, elle se sert de sa trompe. Les
ciseaux rudimentaires de ses ancêtres, les moucherons, se sont agrandis et
développés sur des générations pour devenir un outil efficace permettant de
percer la peau et de boire le sang. Cette trompe est faite de deux tubes
entourés par des paires de lames coupantes. Quand elle se pose pour se nourrir,
les arêtes tranchantes glissent l’une contre l’autre, comme celles d’un couteau
électrique à découper, et fendent la peau. Pendant qu’elle cherche un petit
vaisseau sanguin pour l’entailler, son tube salivaire injecte un anticoagulant
dans l’étroit tube aspirateur pour éviter qu’il ne se bouche. Les protéines de
sa salive provoquent une réaction de notre système immunitaire –une enflure et
une démangeaison. Tous les organismes pathogènes qu’elle transporte traversent
ses glandes salivaires. A la suite d’un saut diabolique de l’évolution des
espèces, les parasites responsables du paludisme qui se multiplient dans l’intestin
de l’anophèle perturbent l’organe qui sécrète l’anticoagulant. Leur porteuse
doit donc piquer d’autres victimes pour boire la même quantité de sang, et le
plasmodium prospère.
Les premiers moustiques sont apparus il y a plus de 200 millions
d’années. Ils buvaient probablement le nectar des nouvelles plantes qui
fleurissaient ou le sang des dinosaures. (Dans le film Jurassic Park,
on a extrait de l’ADN de dinosaure d’un moustique pris dans de l’ambre.) Ils
ont dû être vraiment ravis lorsque nous sommes arrivés, environ 190 millions
d’années plus tard, presque sans fourrure et avec une peau relativement tendre.
Lucy et sa famille d’Afrique orientale ont très certainement souffert de
fièvres provoquées par des germes que véhiculaient des moustiques.
Ensuite, comme maintenant, les moustiques se sont multipliés
dans l’eau stagnante. Et bien trop vite: l’œuf de cet insecte buveur de sang
peut donner un adulte en cinq jours seulement –et ces œufs sont très nombreux.
Le moustique porteur du paludisme en pond plusieurs centaines, un par un; d’autres
espèces en font des quantités à la fois. Le vivier qui leur sert de piscine n’est
sans doute pas plus grand qu’un vieux gobelet en carton ou un couvercle de pot
de confiture et il peut être très sale –de l’eau des égouts, par exemple. Une
larve de moustique, longue d’environ huit millimètres, ressemble à un teckel
aquatique à poils durs ou, si vous préférez, à un asticot velu. Sa tête et son
corps sont suspendus à un tube respiratoire qui monte à la surface de l’eau. Au
fur et à mesure que ce tuba aspire l’air, des cils filtrent l’eau à la
recherche de protozoaires et de bactéries.
Les poissons sont nos amis
L’accouplement d’un moustique néo-zélandais correspond
exactement à la définition de la rapacité. Une fois que les larves sont
devenues des chrysalides en forme de virgule, les mâles adultes s’approchent et
attendent que d’autres femelles éclosent. Dès que l’une d’elles apparaît, un
mâle arrive et s’accouple avec elle avant que ses ailes ne soient assez sèches
pour lui permettre de s’échapper. Il existe un autre rituel d’accouplement, plus
courant et plus libre: les moustiques mâles se rassemblent et forment un nuage.
Les femelles choisissent d’y entrer ou non.
Nos alliés vivants dans la lutte contre les moustiques sont
principalement les poissons qui mangent leurs larves. A ce titre, on peut remercier
le
piranha et la
gambusie. Les larves de libellules dévorent les larves de
moustiques et les libellules adultes se nourrissent de moustiques adultes. Pour
leur part, les chauves-souris ont une réputation
meilleure que ce qu’elles méritent. En réalité, les moustiques
représentent moins de 1% de l’alimentation des chauves-souris. C’est aussi
vrai de l’hirondelle noire, même
si on l’apprécie.
Si les chauves-souris, les oiseaux et les insecticides
pouvaient éliminer tous les moustiques, ce qui est impossible, les exterminer ne
serait pourtant pas une bonne idée. Leurs innombrables larves nourrissent les
petits poissons, mangés à leur tour par les gros poissons, qui constituent la
principale source de protéines dans de nombreux pays en développement.
Naturellement, nous portons un regard anthropocentrique sur
les moustiques. On s’en préoccupe parce que ce sont les
plus mortels ennemis de l’homme. Il vaut peut-être la peine de
penser à la vie en prenant le point de vue de cet insecte. La vie d’un
moustique femelle, qui dure trois à six semaines, est loin d’être une partie de
plaisir. Boire du sang n’est pas facile; plus elle met de temps à trouver un
vaisseau sanguin, plus elle risque d’être écrasée. Et après tout, elle n’a pas
choisi de véhiculer tous ces parasites mortels. Où les trouve-t-elle? Chez
nous, tout simplement.
Nous avons passé les cinquante dernières années à chercher
un vaccin contre le paludisme, ce qui nous éviterait de le transmettre aux
moustiques et de l’attraper à cause d’eux. Il peut être plus logique de les
aider à résister à cette maladie. On a récemment achevé le séquençage du génome
de deux des espèces les plus dangereuses de moustiques. Au lieu d’utiliser ces
connaissances pour mieux les anéantir, pourquoi ne pas s’en servir pour renforcer
leur système immunitaire? On se résignerait aux enflures et aux
démangeaisons si on était sûr de ne pas avoir de fièvre ensuite.
Constance Casey
Traduit par Micha Cziffra
Photo: Aedes
aegypti / James Gathany / Domaine public
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