C’est en 2003, alors que le
gouvernement américain venait, une fois encore, d’essayer de relancer le processus
de paix israélo-palestinien, que le président George W. Bush a prononcé la
phrase fatidique. L’une de ces phrases ridicules dont il a le secret, et qui ne
cesseront jamais de le poursuivre; une phrase que la postérité classera sans
doute parmi les célèbres «bushismes».
Le président venait de participer à un sommet pour la paix au Moyen-Orient, et quittait
la Jordanie à bord d’Air Force One, lorsqu’il délivra ce pronostic solennel: il
avait bon espoir d’assister à la création d’un Etat palestinien «d’ici deux
ans». Depuis, pour une raison ou pour une autre, le délai est toujours de deux
ans: en 2009, Obama
nous a fait la même promesse.
Mais en 2003, Bush faisait
simplement preuve d’un optimisme prudent – ou, pourrait-on dire, d’un
pessimisme sans prétention. Obama, lui, s’apprête
à relancer pour la énième fois les «pourparlers directs»
entre Israël et la Palestine. Et il promet désormais de résoudre le conflit non
en deux, mais en une année seulement. Bush a un jour déclaré qu’il était le
«grand spécialiste des faibles espérances». Une telle formule ne peut bien
évidemment pas s’appliquer à son successeur, le président de La
Promesse.
Les faibles
espérances ne sont donc plus, aujourd’hui, l’apanage du président, mais
celui des législateurs, des experts, des commentateurs, des journaleux, des
spécialistes de com’ politique, et de tout autres observateurs désireux de
décrypter le non-évènement annoncé. Seuls un ou deux
journalistes font montre d’un prudent
optimisme de rigueur. Les Palestiniens disent
qu’ils sont prêts à «faire un essai d’un mois». Les Israéliens signalent
qu’ils ont «besoin d’un véritable partenaire» côté palestinien. Personne ne
tente d’évaluer les chances de réussite des pourparlers – pas même Yossi
Beilin, architecte des accords d’Oslo, maître artisan de la paix et éternel
optimiste (bien qu’il prétende
le contraire). Interrogé par le New York Times, Beilin a affirmé
que l’administration Obama avait tort de se fixer une échéance d’un an: «la
paix n’est pas pour dans un an (ou deux, ou trois); c’est absolument
impossible». Il se montre encore plus critique envers les pronostics
gouvernementaux dans les interviews accordées aux médias israéliens. Personne
ne croit à la réussite des pourparlers – personne, sauf la «Team Obama».
Les Américains comptent sur
l’effet de surprise:
au lieu de promettre d’instaurer la paix tant espérée dans un délai de deux ans,
ils essaieront de «régler toutes les questions ayant trait au statut final (…)
d’ici un an». Les délais n’étant jamais respectés, autant viser très haut. Il y
a un an, lorsque le représentant spécial George Mitchell a rencontré le
président israélien Shimon Peres dans l’espoir –Ô surprise– de relancer les
pourparlers israélo-palestiniens, j’avais
fait part de mes nombreux doutes sur Slate. L’article
s’ouvrait sur une citation de Peres:
«Nous
devons prendre un nouveau départ et relancer les négociations avant la fin du
mois de septembre», a déclaré Peres. Comme si le mois septembre avait une
importance particulière. Le «nouveau départ» n'a pas été pris en août, en
juillet, en juin, et mai ou en avril; en quoi septembre 2009 sera-t-il
différent?
Laissez-moi donc ajouter: en quoi
septembre 2010 sera-t-il différent?
Les Américains disent que le
moment est propice. Peut-être l’est-il pour l’administration Obama (même si
l’on a du mal à comprendre pourquoi), mais les autres partis sont sans doute
loin d’être de cet avis. Israël et son premier ministre, Benjamin Netanyahou,
estiment que l’Iran est une priorité autrement plus urgente, et que le problème
palestinien peut attendre; par ailleurs, ils ne perçoivent aucun interlocuteur
sérieux côté palestinien. L’Autorité palestinienne et son président, Mahmoud
Abbas, ont été traînés à la table des négociations à leur corps défendant; ils
semblent peu disposés à céder le moindre pouce de terrain. Netanyahou n’a,
selon eux, pas la moindre intention de négocier, et il leur faut composer avec les
critiques du Hamas, de la Syrie et d’autres acteurs régionaux – ce qui n’est
pas chose aisée.
«De fait, il existe un véritable
déficit de confiance, et il va nous falloir trouver un moyen de le surmonter», explique
Dennis Ross, conseiller du président et spécialiste de longue date des
relations avec le Moyen-Orient. Netanyahou et Abbas ne se font pas confiance,
mais ils ont également des doutes quant au médiateur américain, à la méthode
choisie pour mettre fin au conflit, au moment choisi pour la tenue des
négociations, et à la probabilité d’atteindre les objectifs fixés. En somme,
voici deux véritables spécialistes des faibles espérances.
Ces faibles chances de réussite
peuvent être expliquées de multiples manières. «Les Israéliens et les
Palestiniens abordent les pourparlers du mois prochain en s’appuyant sur des
hypothèses de travail divergentes» serait une façon
de présenter les choses. On pourrait également dire
que «rien n’indique que les Palestiniens acceptent tout accord leur
garantissant moins qu’un Etat viable doté d’un territoire contigu en
Cisjordanie (et, plus tard, à Gaza). (…) Rien n’indique que le gouvernement
israélien accepte tout accord leur garantissant plus qu’un “Etat” symbolique,
uniquement constitué de bantoustans isolés». Votre analyse dépendra du camp que
vous estimez responsable de l’échec à venir: les Israéliens, trop
va-t-en-guerre et hésitants? Les Palestiniens, intraitables mais trop fragiles
pour gouverner? Les pays arabes, «roublards»
et sans attaches? Ou ces naïfs d’Américains, par trop incompétents?
Toutes ces explications
comportent une part de vérité –et toutes sont proprement accablantes pour ceux
dont le destin est irrémédiablement lié à la saga du processus de paix. Lorsqu’une
«avancée décisive» a été réalisée, et que les «pourparlers directs» ont enfin
été annoncés, la nouvelle (visiblement importante) n’a même pas fait la une de
tous les quotidiens israéliens. Les pourparlers? Du déjà-vu, du réchauffé; quel
intérêt?
Loin d’arranger les choses,
l’opinion arabe vient au contraire assombrir le tableau. Selon une récente
étude, 94% des Arabes estiment que la paix «est impossible»
ou qu’il faudra «plus de temps» pour y parvenir. Seuls 4% d’entre eux disent
croire à la signature d’un accord de paix d’ici cinq ans.
Il fut un temps où les faibles
espérances étaient justifiées; on nous disait même
qu’elles étaient la clé
du bonheur. Quand revoyons-nous nos attentes à la baisse? Lorsque
nous espérons que notre humilité nous aidera à atteindre nos objectifs, ou lorsque
nous espérons être agréablement surpris par un avenir plus radieux que prévu.
Mais le processus de paix israélo-palestinien semble échapper à ces modèles; il
est l’anomalie, l’un des rares cas où les faibles espérances n’ont aucun rôle à
jouer, ne dissimulent aucun objectif, ne cachent aucune attente secrète. Dans
ce cas précis, si les espérances semblent faibles, c’est sans doute parce qu’elles sont à l’image de la
dure réalité. L’ancienne stratégie des faibles espérances n’a plus cours; elle n’est
qu’une victime de plus de ce conflit sans fin. Voilà au moins une bonne raison
d’espérer que ces pourparlers aient bien lieu.
Shmuel Rosner
Traduit par Jean-Clément Nau
Photo: Un drapeau palestinien sur fond de colonie israélienne non loin de Jérusalem. Ammar Awad / Reuters
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