Voilà un bout de temps que je ne pense plus à Katrina tous
les jours. En tant que membre de la diaspora de la Nouvelle-Orléans, je ne suis
jamais confronté aux restes visibles de la destruction – les bâtiments
abandonnés, les terrains vagues et les maisons sur les portes desquelles est
encore inscrit, à la
bombe de peinture, le nombre de morts à l’intérieur. Lorsque j’enfile
ma casquette des Gold Saints, je
pense au Super Bowl et pas au fait que
l’équipe a failli partir pour
Los Angeles ou San Antonio l’année suivant la tempête. Mais une fleur
de lys (l’emblème des Gold Saints)
est bien plus qu’une fleur de lys. La semaine dernière, un homme assis dans un
bus, avisant ma casquette, a enlevé ses écouteurs et m’a dit qu’il avait quitté
la Nouvelle-Orléans au moment où la tempête faisait rage – il m’a dit qu’il
souhaitait ardemment rentrer mais qu’il n’y est pour l’instant pas parvenu. Lui
pense à Katrina chaque jour.
Lorsque j’ai fait le deuil de la Nouvelle-Orléans
en août 2005, je pensais avant tout à ma famille et aux lieux qui m’étaient
chers: la maison de mes grands-parents, Audubon Park, le Rock ‘N’ Bowl. Cinq
ans plus tard, l’héritage de Katrina est moins présent que je l’imaginais. Si
la tempête a naturellement affecté le paysage de la Nouvelle-Orléans, ses
effets sont aussi visibles qu’invisibles. Katrina est un désastre collectif
enduré en privé, une tragédie qui constitue une rupture temporelle pour tous
les habitants de la Nouvelle-Orléans. Les vies sont aujourd’hui divisées en
avant et après Katrina, chaque événement post-ouragan n’étant relié au passé
que par une ligne pointillée, quand il est relié.
Pour ma grand-mère, Katrina est liée aux soins qu’elle
portait à mon grand-père. Alors que le vent et la pluie menaçaient la côte, ils
ont quitté leur maison en emportant des médicaments et des vêtements pour
quelques jours. Ils sont rentrés à la Nouvelle-Orléans après avoir passé cinq
mois à Houston, mais n’ont pas pu regagner
leur foyer. La maison dans laquelle ils avaient vécu durant un
demi-siècle était inondée, moisie et inhabitable.
Ils ont déménagé dans un appartement plus petit, et les quelques biens qu’ils
ont pu sauver –vaisselle, livres et tout ce qu’il est possible d’accumuler en
57 ans de mariage- a été entreposé dans des cartons. Mon grand-père est mort un
an après leur retour et ma grand-mère pense à Katrina chaque jour –à chaque
fois qu’elle pense à lui.
Tout le monde a son histoire de Katrina –ce que vous avez
vu, les biens et les personnes que vous avez perdus. C’est cette accumulation
d’expériences particulières qui donne à la tempête cette dimension si
personnelle. La reconstruction de la ville et de la Gulf Coast a également pris
une dimension très personnelle. Katrina a donné naissance à une culture de la
débrouille individuelle. Lorsque les eaux se sont retirées, le programme
Road Home n’a pas été en
mesure de fournir les fonds nécessaires promis à des propriétaires désespérés,
tandis que la gouverneur Kathleen Blanco et le maire de la Nouvelle-Orléans,
Ray Nagin, se rejettaient l’un sur l’autre (ainsi que sur le directeur de la
FEMA, Michael Brown) la responsabilité du manque de coordination et de progrès.
Les familles et les associations locales ont fait, pour elles-mêmes, ce que les
bureaucrates s’avéraient incapables de faire, en reconstruisant leurs quartiers
par la seule force de la volonté.
Cette autarcie contrainte a considérablement modifié la
psyché et la politique de la Nouvelle-Orléans post-Katrina. Joseph Cao, avocat issu
de l’immigration n’avait jamais, avant l’ouragan, mis le doigt dans la
politique. Après la tempête, il a été au coeur d’une des plus belles histoires
de la Nouvelle-Orléans, la reconstruction en un temps record du quartier
américano-vietnamien dans l’est de la ville. Cao, tirant parti du rôle de
premier plan qu’il avait joué dans cet épisode, a fait son entrée à la Chambre
en 2008, battant le sortant William J. Jefferson, figure politique locale aujourd’hui
en prison pour
corruption aggravée. Le maire de la Nouvelle-Orléans, Mitch Landrieu et
le président de la Paroisse (en Louisiane
les Comtés s’appellent des Paroisses (Parish), note du traducteur) de
Plaquemines, Billy Nungesser ont sortit les sortants en promettant qu’à
l’inverse de leurs prédécesseurs, ils ne se laisseraient pas aller à
l’inaction. (Cette philosophie à été mise à rude épreuve avec la fuite
de pétrole de BP, Nungesser insistant sur le fait que lui et les autres
représentants faisaient «tout ce qui était physiquement possible pour sauver le
littoral de la Louisiane».)
Cette croisade contre l’inertie pourrait bien se transformer
en un simple outil rhétorique pour une nouvelle génération de politiciens
corrompus en Louisiane. Il semble pourtant que quelque chose de différent est
en train de se mettre en place. Avant la tempête, les problèmes de la Nouvelle-Orléans
-un système scolaire défaillant, des infrastructures déliquescentes et un fort
taux de criminalité - semblaient systémiques et irréductibles. Katrina a montré,
de la pire des manières, que la façon dont les choses se déroulent n’est pas immuable.
Car l’ouragan a également fourni aux habitants de la Nouvelle-Orléans une
occasion sans précédent de reconstruire une ville qui ne fonctionnait pas.
Les changements opérés dans la Cité du Croissant (surnom de la Nouvelle-Orléans) depuis
Katrina sont impressionnants. Peu après la tempête, l’Etat
a pris le contrôle des écoles les moins performantes du service public.
En 2007, le Conseil municipal a fait voter la
destruction de 4 500 logements du parc public, avec la promesse qu’ils
seraient remplacés par des résidences accueillant des catégories sociales
variées. Cette année, Landrieu et le service de l’inspecteur
général de la ville ont décidé de s’attaquer au système
des marchés publics, notoirement corrompu. Le département de la Justice
et le FBI, parmi d’autres, participent aux efforts entrepris pour réformer
la police de la Nouvelle-Orléans, que le maire à décrit, lors de son
entrée en fonction, comme «une des pires polices du pays».
Ces réformes ont été naturellement très applaudies par les
partisans de la bonne gouvernance. Le «New Orleans
Index at Five», un grand rapport produit par la Brookings Institution
et le centre de Statistique de la Great New Orleans Community tend à montrer
que la ville a bien plus de ressort depuis Katrina. Depuis la
catastrophe,insiste le rapport,
les organisations de quartier jouent un rôle civique plus important, davantage
d’enfants ont accès à des écoles de meilleure qualité, dont le nombre a
augmenté, et le long processus de réforme du logement public et du système
judiciaire est sur les rails.
Mais malgré tout ce qui a déjà été fait, les problèmes structurels
de la Nouvelle-Orléans n’ont pas pour autant disparu. Avant comme après
Katrina, des tensions subsistent entre la culture indestructible de la ville et
son économie fragile. Les orchestres de jazz et les Social Aids
and Pleasure Clubs ont fait leur grand retour, démontrant la volonté de
rétablir les traditions qui ont fait de la Nouvelle-Orléans une ville unique.
Mais la ville n’est pas parvenue à moderniser une économie pour l’essentielle
centrée sur le tourisme, le pétrole et le gaz, ainsi que sur le fret. La
récession d’ampleur nationale, la fuite de pétrole de BP et la fermeture
annoncée des chantiers navals d’Avondale rendent ces ressources
potentielles plus fragiles que jamais.
Katrina a également exacerbé les tensions raciales
préexistantes à la Nouvelle-Orléans. L’ouragan, dont les conséquences ont bien
plus dramatiquement frappé les habitants noirs et pauvres a vu la population
des Africains-Américains passer de 67% en 2000 à 61% en 2008 (PDF)
dans la Paroisse d’Orleans (où se situe la ville). Landrieu, premier maire
blanc de la ville depuis son père,
Moon Landrieu, en 1978, a remporté les élections grâce à un soutien
massif des noirs, déclarant que sa victoire «était le signal d’une ville ayant
décidé d’être unie plutôt que divisée». Malgré cela, les divisions ne peuvent
être balayées du jour au lendemain. La destruction, en 2007, du parc de
logement public, a été perçue par certains dirigeants de la communauté comme
une manière de se débarrasser
des Africains-Américains à faible revenu. Et les rapports
incessants de fusillades à caractère racial qui se sont produites dans
les jours suivant la rupture des digues – un ancien habitant blanc a été
récemment mis en examen pour crime racial après avoir insulté
trois «étrangers» noirs avant de leur tirer dessus à Algiers Point - ont
encore renforcé l’idée que la réconciliation raciale est un rêve impossible.
Bien qu’il y ait de nombreuses raisons de se montrer cynique
à l’égard de la Nouvelle-Orléans post-Katrina, l’expérience de mort imminente
de la ville tend à changer votre point de vue. Chacun de mes séjours dans cette
ville qui est la mienne revêt davantage d’importance, me donnant l’occasion de
visiter les lieux que je craignais engloutis à tout jamais en 2005. Mais je
visite également des quartiers où je ne m’aventurais pas auparavant, pour
admirer les progrès sur le Lower Ninth Yard, me balader dans Gentilly et le New
Orleans East, admirer les extravagants costumes indiens de Mardi Gras présentés
dans la House of Dance and
Feathers. Katrina fut un désastre personnel, mais ce désastre m’a
donné l’occasion de réaliser à quel point la Nouvelle-Orléans, mais aussi ses
habitants, forment un tout. Au-delà des Saints,
de la musique et de la culture, je réalise aujourd’hui que tout le monde est
partie prenante de cette ville, derrière les mêmes digues et levées fragiles.
Josh Levin
Traduit par Antoine Bourguilleau
Photo: Nouvelle-Orléans quartier du Lower Ninth Yard Eric Leser
"
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire