De mortelles petites bêtes peuvent émerger des pays
émergents. C’est le cas aujourd’hui avec le sous-continent indien, inquiétant réservoir
de souches de bactéries résistantes à la quasi-totalité des médicaments
antibiotiques aujourd’hui disponibles. Des bactéries qui –via des personnes
infectées prenant l’avion–
commencent à circuler à l’échelon planétaire. Les spécialistes
d’infectiologie (ils ont–eux aussi– un jargon et quelques lubies) ont baptisé
«NDM-1» ces nouveaux micro-organismes. «NDM-1» pour «New Dehli
métallo-bêta-lactamase». En clair: des bactéries identifiées pour la première
fois dans la capitale de l’Inde (près de vingt millions d’habitants) et porteuses
d’un gène qui leur permet de résister aux multiples armes médicamenteuses jusqu’alors
habituellement destructrices.
De plus en plus de foyers
Pour
les plus affûtés des bactériologistes, l’affaire est tout sauf anecdotique;
tout sauf médiatiquement gonflée. Elle vient d’être détaillée sur le site du
mensuel spécialisé The
Lancet Infectious Diseases par une équipe internationale coordonnée par
deux spécialistes britanniques Timothy Walsh et Neil Woodford. Les premiers germes en cause furent des entérobactéries,
une famille de bactéries (pathogènes ou pas) largement présentes dans
l’environnement ainsi que dans les tubes digestifs des animaux et des
hommes. Mais désormais l’inquiétude,
ici, est triple:
- le nouveau
gène de résistance identifié en Inde contamine avec une très grande facilité
différentes variétés bactériennes très répandues et responsables d’infections
dépassant largement la sphère digestive - ces
bactéries résistantes sont depuis peu retrouvées dans un nombre croissant de
pays - le
nombre d’antibiotiques qui pourraient être efficaces est largement inférieur à
celui des doigts d’une main et aucun nouveau médicament de taille n’est annoncé
à court ou moyen terme dans les richissimes tuyaux de Big Pharma.
Constat. Des souches NDM-1 ont
été récemment identifiées en Grande-Bretagne, en Belgique, au Canada, en Suède,
aux États-Unis, aux Pays-Bas et en Australie. Identification faite chez des
personnes ayant été hospitalisées dans le sous-continent indien avant de
bénéficier d’un rapatriement sanitaire. Des
foyers épidémiques multi-résistants ont aussi été également recensés en Grèce
et en Israël. La France n’est pas
épargnée. Une bactérie
de ce type vient d’être identifiée chez une jeune femme hospitalisée dans le
sud de l’Hexagone pour une infection urinaire contractée après un séjour dans
un hôpital du sud de l’Inde (ce pour une intervention chirurgicale lourde).
Auparavant, un cas avait été dépisté en avril dernier chez un Français –là
encore– de retour d’un voyage en Inde. Les deux patients restent hospitalisés
et maintenus en isolement.
Un conseil: renforcer l'hygiène
Le
ministère de la Santé vient
fort opportunément de réagir. Un dépistage systématique chez les personnes
hospitalisées en provenance d’un hôpital étranger (soit entre 10.000 et 20.000
personnes) va être mis en place. Il devrait en être bientôt de même chez les personnes à risque hospitalisées dans les
services de réanimation. Sur l’avis du Haut Conseil de santé publique, la Direction
générale de la santé recommande en outre aux établissements hospitaliers et aux
professionnels de santé le renforcement des mesures d’hygiène (isolement
septique, lavage des mains…) autour des personnes potentiellement infectées
ainsi que le renforcement de la surveillance nationale de la résistance à
certains antibiotiques. Une forme de déclaration de guerre antibactérienne.
L’affaire
est tout sauf anecdotique. La très vive inquiétude des spécialistes tient à la
fois aux caractéristiques des bactéries concernées et à l’immense réservoir que constitue le sous-continent
indien: 1,4 milliard d’habitants; échanges massifs de flores bactériennes;
règles d’hygiène inconnues ou inapplicables; eaux massivement contaminées;
diarrhées infantiles récurrentes, etc. Tous les pays ne sont toutefois pas
également concernés: les premiers visés sont ceux qui ont le plus d’échanges de
population avec l’Inde et le Pakistan; à commencer par le Royaume-Uni. Pour le Pr Patrice
Nordmann, chef du service de bactériologie-virologie-parasitologie de
l’hôpital de Bicêtre, par ailleurs directeur de l’unité «Résistances émergentes
aux antibiotiques» de l’Institut national de la santé et de la recherche
médicale (Inserm) il n’y a ici aucune fatalité. Dans les
colonnes du Monde, il
expliquait il y a quelques jours que cet abcès grossissant trouvait vraisemblablement son origine en Inde, vers
2005 ou 2006; et ce du fait de l’association de facteurs favorisant l'émergence
de résistances bactériennes: problèmes d'hygiène, surpopulation, climat chaud
et humide, usage à la fois «non raisonné» et «hors prescription médicale» des
médicaments antibiotiques.
Il ajoutait
aussi, incidemment, qu’il importe ici de tenir compte de ce sous-continent sanitaire qu’est le «tourisme médical»;
flux qui ne peuvent jamais être dissociés du passé colonial.
Pr Nordmann: «Pour
la chirurgie esthétique, les patients vivant en Grande-Bretagne vont se faire
opérer en Inde ou au Pakistan en raison d'un coût et de délais d'attente
moindres que chez eux. Les Français vont beaucoup plus volontiers au Maroc ou
en Tunisie, qui ne semblent pas touchés pour l'instant.»
Dont acte.
Jean-Yves Nau
Photo: Un pneumobacille, dans lequel a été trouvé NDM-1 la première fois / Wikimedias Commons
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire