Quoi
de plus efficace que de brûler les banquiers si l'on veut quelques jours plus
tard faire passer la pilule d'un plan de rigueur à son opinion publique? Qui
plus est si cela permet, en tirant les premiers, d'imposer des règles du jeu à
ses partenaires européens. Tel est le scénario retenu par Angela Merkel.
Reprenant
le modèle de sa décision unilatérale d'interdire les ventes à découvert sur les
marchés il y a quelques mois, la chancelière allemande a choisi une nouvelle
fois de prendre les devants. Son ministre des Finances, Wolfgang
Schaüble, a présenté, une semaine avant son budget de
rigueur, un projet de loi destiné à taxer les bénéfices des banques qui a été adopté
mercredi 25 août par le gouvernement.
Un plan doublement vertueux
Sur
le papier, le plan retenu par l'Allemagne est un modèle de rigueur. Berlin
choisit de prélever une taxe sur ses banques pour alimenter un fonds spécifique
de sauvetage pour parer aux futures crises et non pour boucler les fins de mois
de l'Etat. L'esprit de cette taxe bancaire, dans sa présentation, est bien
différent de celui envisagé par Londres et Paris, qui ne cachent pas leur
volonté d'utiliser cet argent pour boucher les trous dans les caisses de
l'Etat. Les finances publiques allemandes se portent il est vrai bien mieux que
leurs homologues françaises et britanniques.
La
dîme prélevée sur les banques allemandes (jusqu'à plus de 15% du bénéfice net
d'un établissement) sera destinée à les protéger contre les conséquences de
leurs propres turpitudes. Le contribuable sera désormais épargné d'avoir à
venir au secours des financiers.
Le
système allemand est doublement vertueux puisqu'il récompense aussi les bons
élèves. Le mode de calcul de la taxe repose sur le total des engagements de
chaque banque et de ses positions sur les produits dérivés. Plus une banque
dispose d'un capital important par rapport à ses engagements, moins elle fait
courir de risque au système, moins elle est taxée. Les opposants à ce système
font valoir qu'il reviendra à pousser les banques allemandes les plus fragiles,
dotées d'un nouveau parachute, à tenter le tout pour le tout et à se lancer
dans de nouvelles dérives. Autre écueil, les montants récupérés à travers la
taxe risquent d'être insuffisants pour faire face à une nouvelle crise de
grande ampleur. On en reviendra alors, une fois de plus, à la collectivité.
Berlin
évalue à 1,2 milliard d'euros par an le produit de cette taxe. Cet argent sera
géré par un fonds qui permettra à l'Etat, en cas de besoin, de venir au secours
d'une banque en difficulté. Si cela ne suffit pas, l'Etat fédéral pourrait
aller jusqu'à prêter 20 milliards d'euros au fonds de restructuration,
remboursable par les banques, et lui apporter jusqu'à 100 milliards d'euros de
garanties. Enfin, le projet prévoit la possibilité pour l'Etat, en cas de crise
majeure, de prendre le contrôle d'une banque en faillite et d'organiser son
démantèlement. Au regard de la centaine de milliards d'euros que Berlin a
déjà dû mobiliser pour régler la crise des trois dernières années, on ne voit
pas comment le contribuable allemand éviterait d'être sollicité dans
l'hypothèse d'un nouvel effondrement financier.
L'opportunisme franco-britannique
Faut-il
alors penser que la solution préconisée à Londres et Paris, consistant plutôt à
se servir de l'argent de la taxe pour assainir les finances publiques, est plus
défendable? Non. Pourtant, Paris et Londres ne manquent pas d'arguments pour se
justifier. La crise financière de 2008 a démontré que lorsque les choses
tournent vraiment mal, c'est l'Etat qui est appelé à la rescousse. Il n'est pas
illégitime que la taxe lui revienne. Mais cette solution semble plutôt
correspondre à une pure opportunité. Le plan français ou britannique ne vise
même pas à mettre en place un système d'auto-contrôle et d'auto-assurance pour
tenter d'éviter une nouvelle défaillance bancaire collective. Sur le fond, les
banquiers français et britanniques n'ont pas totalement tort lorsqu'ils
expliquent qu'ils risquent d'être condamnés à remplir pendant des années les
caisses percées d'un Etat impécunieux incapable de gérer son budget.
Illustration:
les 1,15 milliard de livres que le gouvernement Cameron prévoit de prélever en
2011 sur les bénéfices des banques britanniques, puis 2, 4 milliards par la
suite, ne sont pas des ressources à négliger au moment où le Premier ministre
britannique prédit du sang et des larmes à son peuple. A Paris, Christine
Lagarde est apparemment mois ambitieuse, évoquant une fourchette de 300
millions à un milliard d'euros qui sera affinée au moment de la présentation du
budget et du vote final sur le dossier des retraites. L'arbitrage en France sera
évidemment politique et permettra de mesurer avec précision le poids dans
l'Hexagone du lobby bancaire.
Merkel, championne de la vertu financière
Berlin
donne une nouvelle fois l'exemple, mais aura beaucoup de mal à convaincre les
autres Etats européens de suivre sa voie. Pour autant, le calcul de la
chancelière est également cynique. Le système de fonds spécifique n'est pas à
la hauteur d'une crise de grande ampleur touchant les grands établissements.
Mais le problème de l'Allemagne, ce sont surtout les banques locales trop
petites trop nombreuses qui prennent trop de risques pour survivre. Si l'une ou
plusieurs d'entres elles se trouvaient en difficulté, le fonds serait à même
d'intervenir efficacement. Angela Merkel cultive ainsi son image de championne
de la vertu financière en Europe et ménage l'avenir.
De
fait, Berlin, Paris et Londres cherchent à gérer de la manière la moins
pénalisante possible ce paradoxe consistant, d'un côté, à s'affirmer comme les
champions de la croisade contre les turpitudes bancaires, et de l'autre coté à
affaiblir le moins possible la compétitivité de leurs banques, qui sont le
principal socle du financement de l'économie.
Au
passage, en imposant opportunément de nouvelles taxes aux banques, chaque
gouvernement peut estimer pouvoir faire passer d'autant moins difficilement ses
mesures de rigueur au pays. Reste à savoir, si en bout de course, ce ne seront
pas toujours les mêmes qui auront la note à payer. Au nom de la défense du
contribuable, ne risque-t-on pas surtout de charger les clients sur lesquels
les banques seront tentées de «se refaire».
Philippe Reclus
Photo: Angela Merkel devant la chancellerie à Berlin. REUTERS/Thomas Peter
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