Lorsque le journaliste Adrian Chen
du site Gawker.com a découvert la déclinaison française de Slate.com, il s’est
dit qu’il fallait nous aider et a proposé quatre sujets d’articles dont cette
excellente idée: «tout ce que vous savez sur le cassoulet est faux». Nous avons
relevé le défi et sommes partis à la recherche du «Dieu de la cuisine occitane»,
comme l’appelait Prosper Montagné,
auteur du premier Larousse Gastronomique, qui continue d’enflammer le sang du
Midi-Pyrénées. Bilan en cinq assertions (plus ou moins) réfutées, le tout sans
indigestion.
Le cassoulet est né à Castelnaudary.
Personne aujourd’hui ne remet en
question le lieu de naissance du cassoulet, mais il n’en a pas toujours été
ainsi. Au siècle dernier, les choses étaient moins claires et entre
Castelnaudary, Toulouse et Carcassonne, il y avait du raffut pour départager
quelle ville était la «patrie du cassoulet». Selon Jean-Louis-Male, le Grand
Maître de la Confrérie du Cassoulet de Castelnaudary
fondée en 1970, «chacun voulait le
tourisme gastronomique, mais maintenant les rôles sont définis: Toulouse, c’est
la grande ville avec l’aviation; Carcassonne, c’est la cité médiévale; et
Castelnaudary, le cassoulet». Plat paysan, il s’agit à ses débuts d’un
ragoût de mouton et (ou) de porc cuit avec des fèves. Une légende «romantique»
rapporte que, pendant la Guerre de cent ans, Castelnaudary, assiégée par les Anglais,
était menacée par la famine. Les habitants auraient alors mis en commun tout ce
qu’ils avaient pour nourrir leurs soldats qui, revigorés par ce festin,
libérèrent la ville. Du folklore. Mais, au XVIe siècle, lorsque le haricot
arrive en Europe grâce à Christophe Colomb, les choses évoluent. Catherine de
Médicis, comtesse du Lauragais (au croisement
de la Haute-Garonne, de l’Aude et du Tarn), épouse Henri II et amène le haricot
dans ses bagages, puis en encourage sa culture dans le Sud-Ouest. Le légumineux
va rencontrer un franc succès si bien qu’il remplace rapidement les fèves dans
ce ragoût local que l’on cuit déjà dans des poteries en terre d’Issel, commune
à proximité de Castelnaudary. Pour Jean-Claude Rodriguez, cuisinier et l’un des
fondateurs de l’Académie Universelle du
Cassoulet à Carcassonne, le plat gagne ses lettres de noblesse lorsque
les filles des fermes arrivent en ville pour travailler comme servantes. Venues
avec leurs recettes, elles préparent le cassoulet pour les familles bourgeoises
et il devient la signature du pays. En 1836, la première fabrique industrielle
de cassoulet s’installe à Castelnaudary qui se proclame sa «capitale mondiale».
Il n’existe qu’une recette de cassoulet.
Si l’on met de côté les «cassoulets
de la mer» et autres hérésies culinaires, la composition du cassoulet
est relativement figée. Mais ce n’est pas pour autant qu’il n’existe qu’une
recette. Outre le fond de sauce que chaque famille accommode à sa façon, on
compte trois grandes variations. La première recette, d’aucuns diront «l’originale»,
celle de Castelnaudary,
se compose de l’obligatoire haricot blanc (haricot lingot), du confit de porc
et de canard (ou d’oie, c’est selon) ainsi que de la saucisse de Toulouse. La
seconde variation, de
Toulouse, est un cassoulet complété par de l’agneau d’élevage ou du
mouton. La troisième recette vient de
Carcassonne où l’on ajoutait de la perdrix. Région vinicole, les
perdreaux étaient nombreux et la perdrix (un perdreau âgé) avait une viande
assez dure: pour la manger, on la faisait fondre dans le cassoulet. Jean-Louis
Male, très à cheval sur le sujet, considère ces variantes comme anecdotiques et
se montre à la limite moqueur: «Il faut
bien voir qu’aujourd’hui, si on attrape un perdreau à Carcassonne, ça fait
l’événement dans le journal.» «Oui,
cette recette est moins fréquente, reconnaît Jean-Claude Rodriguez (de
Carcassonne), mais c’est aussi à cause de
la réglementation de la chasse et le rétrécissement des périodes pendant
lesquelles un restaurateur a le droit de vendre du gibier.»
Du côté du haricot, tout le monde
admet qu’il faut cuisiner avec la plante locale.
Il y a quelques années maintenant, l’Institut national de la recherche agronomique,
associé avec des cultivateurs régionaux, a remis au goût du jour les variétés
du pays ariégeois qui avaient pratiquement disparues. Mais à la Confrérie du
Cassoulet de Castelnaudary, on admet que dans certaines conserves, on ne trouve
pas toujours le haricot lingot de Mazère ou le haricot coco de Pamiers. «70.000 tonnes de cassoulet sont fabriquées
et vendues chaque année en France dont 20.000 qui proviennent de Castelnaudary
avec l’appellation Cassoulet de Castelnaudary. Et les 270 hectares consacrés à
la culture du haricot dans la région n’y suffiraient pas», tente de
justifier Jean-Louis Male. Alors on se rabat sur le haricot argentin, plus
commun, moins savoureux, mais surtout beaucoup moins coûteux pour l’industrie.
Quant à la célèbre conserve de William Saurin lancée en 1937, elle est
fabriquée en Seine-et-Marne et n’a jamais vu le Sud-Ouest.
Le cassoulet se prépare dans une cassole.
Puristes du cassoulet, attention:
le sujet de la cassole est encore aujourd’hui extrêmement pointilleux. En se
lançant dans ce reportage de l’extrême, nous n’avions pas la moindre idée des
blessures que nous allions raviver. Et, en ce qui concerne la cassole, le débat
reste brûlant. Certes, c’est bien le récipient dans lequel on prépare le
cassoulet –c’est d’ailleurs là d’où vient le nom, avant on parlait d’un
estouffet. Elle est réalisée en terre cuite d’Issel, une argile du Lauragais
mélangée à d’autres argiles réfractaires non calcaires qui donnent toute la
saveur particulière au plat. Là encore, tout le monde est d’accord. En
revanche, c’est sur sa forme que les avis divergent.
Si l’on en croit la Confrérie du
cassoulet, Wikipedia et de nombreux sites internet sur le sujet, la cassole est
un plat en forme de cône tronqué
dont les extrémités sont évasées. «Pas du
tout, rétorque formellement Jean-Claude Rodriguez de l’Académie du
cassoulet, on trouve dans les archives un
journaliste toulousain qui décrit en 1850 la cassole comme “un plat rond et
ventru, plate du cul”, or la cassole promue par la Confrérie est une grésale,
plat dans lequel on mettait le “gras au sel” (d’où “grassale” puis “grésale”)
qui, elle, passez-moi l’expression, est “étroite du cul”.» Or, c’est cette
forme plate qui doit assurer la cuisson uniforme au cassoulet, et dans la
grésale de la Confrérie, on ne cuit pas avec homogénéité. Après avoir retrouvé
un modèle de cassole «plate du cul» du début du siècle, Jean-Claude Rodriguez a
déniché un potier, Guy Sanchez à Bram, qui a su lui fabriquer une véritable
cassole. Aujourd’hui, les restaurateurs membres de l’Académie utilisent cet
ustensile à l’ancienne qui est également proposé au public.
Le cassoulet, ça fait grossir.
Maintenant que nous savons tout ou
presque sur notre cassoulet, la cassole et le haricot, regardons un peu ses
qualités nutritives. Largement vendu sous forme de conserve, il est le second
plat préparé le plus consommé en France, juste derrière les raviolis.
Typiquement, une conserve de cassoulet constitue un apport de 500 à 600kJ pour
100g avec en moyenne 10g de protéines, de 8 à 12g de glucides et 5 à 6g de
lipides. La composition se tient quelle que soit la variante: environ 35% de
haricots et 33% de viande. Le véritable cassoulet reste tout de même plus
copieux et encore plus énergétique.
Plat qui tient au corps, son
intérêt nutritif principal se trouve dans son fameux haricot. «C’est un légumineux qui remplace
avantageusement la viande dans les régimes végétariens», rappelle Alexandre
Grzeczka, diététicien. Il a largement été cultivé avant de connaître un déclin
tout au long du siècle dernier tandis que la consommation de viande croissait.
Alors qu’on comptait une consommation de 10kg par habitant et par an en 1810,
elle chute à 1,4kg en 1985 et remonte (2kg en 2002) depuis la vache folle et la
grippe aviaire. Très bien pour le haricot, mais pour la viande, le confit de
porc, le lard, le gras de porc, le confit d’oie? Ça va direct dans les hanches,
non? «Non, répond Alexandre Grzeczka,
tant que cela reste un “plat d’exception”
dans le cadre de l’alimentation d’une personne bien portante au poids
stabilisé.» Comprendre qui ne veut pas maigrir. Quant à la traditionnelle
blague qui veut que le haricot soit source de flatulences, ce n’est pas le cas
pour le cassoulet dont les haricots sont cuits longuement dans la cassole, «ce qui a pour effet de rendre les fibres qu’ils
contiennent plus digestes», explique Marie Monjo, diététicienne à Toulouse.
Et rassurez-vous: argentin, vendéen ou ariégeois, tous les haricots ont les
mêmes propriétés nutritionnelles.
Le cassoulet, c’est bon pour la santé.
Dans le Sud-Ouest, c’est peu de
dire qu’on est très fier du cassoulet et, outre ses propriétés gustatives hors
du commun, il est également considéré comme bon pour la santé. On ne va pas
exagérer quand même. Le cassoulet est un plat riche, copieux, familial, et il
est vrai qu’on peut le manger sans risquer de se boucher les artères… mais
seulement s’il est bien fait. Comme il est bourré de graisse de canard ou d’oie
et de couennes de porc ou de lard, on compte environ 45g de lipides dans une
part de cassoulet traditionnel.
Pourtant, malgré cette grande
quantité d’acides gras saturés (c’est-à-dire d’origine animale), «on constate que le bilan lipidique des
habitants du Sud-Ouest est plutôt bon et que, notamment dans le cadre de cancer
de l’œsophage, cette alimentation a des effets protecteurs», continue Marie
Monjo. C’est ce qu’on a appelé le French Paradox, «la nourriture du Sud-Ouest permet aux habitants d’avoir un profil sanguin
meilleur que dans le nord», ajoute Alexandre Grzeczka. Mais attention, le
cassoulet contient un taux de sodium élevé («2g
de sel pour 100 g, une part constitue 300g en moyenne», précise Marie
Monjo). Bilan: sauf dans le cadre d’un régime sans sel et avec la certitude que
la viande vient bien du Sud-Ouest, rien ne vient contre-indiquer la
consommation de cassoulet.
Alors où peut-on en trouver un bien
fait? En dehors du triangle d’or, c’est difficile. L’Académie du Cassoulet
propose une liste d’adresses de restaurants (leurs «ambassadeurs»),
mais qui se concentre fortement autour de la région de Carcassonne et de
Toulouse. En dehors, on trouve également un restaurant au Japon et un autre au
Canada. Ça fait loin pour manger un cassoulet, non? «Nous sommes en train de monter une antenne de l’Académie à Paris,
également, explique Jean-Claude Rodriguez, nous avons déjà David Rathgeber et son restaurant l’Assiette, et nous
comptons ouvrir une autre académie à Londres.» À la Confrérie du cassoulet
de Castelnaudary, qui s’associe à la fête du cassoulet à Castelnaudary à la fin
du mois d’août (20.000 cassoulets servis en une semaine –pas forcément les
meilleurs) soutenue par les industriels locaux, on reste chauvin: «J’ai rarement mangé un véritable bon
cassoulet en dehors de la région», confie son Grand Maître. Tant pis: on va
se rabattre sur la galette bretonne. Attendez. Au sarrasin ou au blé noir?
Romain Buthigieg
Photo:
Le Cassoulet de Castelnaudary / Diru
via Wikimedias Commons License CC by
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